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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

Il fit venir Deutz ; celui-ci se comporta fort habilement, protestant de sa répugnance invincible à livrer la princesse. Il voulait, par philanthropie, traverser ses desseins parce qu’il les croyait pernicieux ; à cela se bornerait son rôle.

Il se rendrait, si on voulait, auprès d’elle et tiendrait le langage qu’on lui dicterait pour provoquer son départ ; mais sa personne lui serait toujours sacrée. Il rapportait les meilleures paroles de dom Miguel, les espérances les plus favorables du roi Guillaume. Il dissimulerait tout cela et découragerait Marie-Caroline de son entreprise, avant de s’embarquer lui-même pour l’Amérique où il voulait aller ensevelir ses tristes secrets.

Monsieur Thiers n’avait pas reçu les papiers de Madrid ; il ne pouvait en apprécier l’importance. La conférence avec Deutz fut ajournée au lendemain où l’éloquence du ministre réussit à convaincre le juif qu’il lui fallait livrer la duchesse de Berry par amour de l’humanité.

Monsieur Thiers m’a protesté qu’aucun salaire n’avait été ni demandé ni promis.

Une fois sa décision prise, Deutz lui-même avait signalé les moyens nécessaires à la réussite de son iniquité, et le plan était si bien ourdi que monsieur Thiers ne formait aucun doute du succès. Son monde était en route.

Nous écoutâmes ces détails avec une grande tristesse.

« Et si vous avez le malheur de la prendre, qu’en ferez-vous ? lui dis-je.

— Si j’ai le bonheur de la prendre, on avisera, répondit-il en souriant.

— Comptez-vous la mettre en jugement ?

— Assurément non, répliqua-t-il vivement.

— Cela ne vous sera pas facile à éviter, reprit monsieur Pasquier ; la cour de Poitiers l’a déjà mise en accusation ; les tribunaux n’admettent pas les considérations politi-