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EXPÉDITION DE LA DUCHESSE DE BERRY

et que là même ils ne trouvassent aucune sympathie parmi les habitants, ils étaient nombreux et déterminés.

Des bruits sinistres se répandaient. Les troupes se sentaient intimidées par les souvenirs si récents du blâme jeté sur elles à la révolution de 1830 ; tireraient-elles sur ceux qui, encore cette fois, s’intitulaient du nom de citoyens et de patriotes ?

Tout dépendait de l’élan de la garde nationale. La présence du Roi le leur communiqua. Dès en arrivant le soir, il s’était montré aux légions réunies sur le Carrousel. Le bruit de son retour circula rapidement et le point du jour vit les maisons s’ouvrir pour laisser sortir des hommes armés, prêts à défendre l’ordre public et la société de leur volonté, de leurs bras et de leur sang. Cette dernière condition ne fut malheureusement que trop accomplie.

Vers dix heures du matin, le 5, un billet de l’amiral de Rigny m’annonça le danger conjuré ; mais la nuit avait été pleine de cruelles anxiétés pour ceux sur qui y pesait la responsabilité du salut de l’État.

Je sus le Roi à cheval et parcourant la ville. Présumant bien l’anxiété des princesses, je voulus me rendre auprès d’elles. J’arrivai par le jardin et pénétrai dans le palais par les communications intérieures dont les gardiens me connaissaient.

Des canons venaient de passer sur le quai ; leur sinistre apparition accroissait l’inquiétude. Le silence était bien morne dans les salons. On se regardait beaucoup et ne se parlait point. Enfin, on annonça la rentrée du Roi sous les guichets des Tuileries. La Reine et les princesses se précipitèrent au-devant de lui et nous les suivîmes. Mais le Roi passait encore la revue des troupes stationnées dans la cour, et, comme cela devait être