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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

— Assurément, mon ami.

— Eh bien, prépare-toi, les voitures sont commandées. »

Une demi-heure n’était pas écoulée, que le Roi, la Reine, Madame Adélaïde, la princesse Louise et le duc de Nemours étaient sur la route de Paris. Monsieur le duc d’Orléans était absent, je crois. Les deux autres princesses et leurs jeunes frères restèrent à Saint-Cloud où l’agitation n’osa se manifester qu’après le départ du carrosse royal, tant le maintien du Roi et de la Reine y avait commandé le calme.

Il n’entre pas dans mon sujet de parler en détail de ces terribles journées. J’ai pourtant été témoin oculaire de la ridicule ovation subie par monsieur de Lafayette, traîné, dans un fiacre dont on avait enlevé l’impériale et où s’était attelée une cohue de vagabonds, jusque dans la cour de sa maison que mes fenêtres dominaient.

Je l’ai vu se présenter au balcon, pâle, tremblant, et adresser d’une voix émue une allocution paternelle à ses chers camarades, en les suppliant surtout de se retirer bien vite. Il avait grande hâte à s’en débarrasser, d’autant qu’il les avait entendus délibérer s’il ne serait pas opportun de le tuer pour faire de son cadavre un appel à la révolte et qu’il les en savait bien capables dans l’excès de ces vertus républicaines où il les avait nourris.

Sa mort a été déterminée par la fatigue d’un autre convoi émeutier (celui de monsieur Dulong) où il voulut assister ; mais il ne s’est jamais relevé de son humiliant triomphe du 4 juin. Il était de trop bon goût pour n’en point savourer péniblement tout l’opprobre.

Quoique, dès la première nuit, les factieux eussent été contraints à se concentrer dans le quartier Saint-Merri, dont les rues tortueuses leur étaient favorables,