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EXPÉDITION DE LA DUCHESSE DE BERRY

pira la terreur à son voisin, pas un soin ne lui fut refusé par la crainte. Dieu donna la force aux plus timides.

Toutefois, il y eut, un moment, une certaine répugnance à ensevelir les victimes de cet horrible mal. Une association de jeunes hommes, parmi lesquels on citerait les plus beaux noms de France, et qui portaient déjà des secours aux malades, allèrent de galetas en galetas pour en enlever les effroyables reliques laissées par la mort, et rendirent ainsi le courage de s’en défaire ; car la hideur des cadavres augmentait encore l’effroi à les toucher ; et pourtant leur séjour dans les maisons aggravait le danger pour les survivants.

Un seul médecin, dans la nombreuse faculté de Paris, profita d’un prétexte assez spécieux pour s’éloigner. Il n’a jamais pu reparaître parmi ses collègues. Tous les autres rivalisèrent de courage et de zèle.

Les ecclésiastiques allaient confesser les malades, s’enveloppant avec eux sous le même manteau, afin d’obtenir l’isolement, sans ralentir les soins que les infirmiers leur prodiguaient.

Des succursales aux hôpitaux s’improvisaient dans tous les quartiers. Les propriétaires de maisons inoccupées les offraient, quoique souvent élégantes. En vingt-quatre heures, l’empressement public, répondant au premier appel, les avait fournies de lits, de linge, de batterie de cuisine, de tout ce qui était nécessaire au service des malades ; et souvent des dames chrétiennes s’y dévouaient et ajoutaient leurs soins à leurs dons. La charité semblait décidée à ne se point laisser dépasser par la misère du temps. Chacun donnait, même au delà de ses moyens, avec entraînement, et, ce qui est pour le moins autant à remarquer, si le riche était généreux, le pauvre était reconnaissant. Jamais je n’ai vu toutes les classes de la société réunies par un lien plus touchant.