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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

En errant sous le pont, elle avait saisi quelques mots du pilote proposant d’entrer dans la rade de Saint-Hélens, le vent se tenant mauvais pour Spithead, et elle s’était déjà vue mettant à la voile pour le rocher où une autre grandeur déchue avait récemment terminé sa brillante carrière.

Le capitaine dut avoir recours à l’inspection d’une carte pour calmer les alarmes si singulièrement conçues.

L’habitation de Lullworth, vaste pour des particuliers, paraissait bien étroite à des habitudes princières. Madame la duchesse de Berry surtout avait peine à se soumettre à la communauté où elle se trouvait avec sa royale famille, et s’en affranchissait par de fréquentes absences.

Elle assista, entre autres, à l’ouverture du chemin de fer de Manchester à Liverpool et, suivant ses goûts aventureux, monta dans le premier wagon que la vapeur eût lancé sur des rails, lorsque cela paraissait encore une tentative pleine d’épouvante.

Les courses répétées, quoique accomplies sans faste dans un demi-incognito, déplaisaient à madame la Dauphine. Elle y voyait un oubli des convenances dont elle était blessée. La retraite, le silence, lui semblaient, à juste titre, l’attitude la plus digne à conserver dans leur cruelle position qui, d’ailleurs, trouvait peu de sympathie dans la population anglaise pleine d’enthousiasme pour la révolution de Juillet où elle reconnaissait l’exemple donné par elle-même en 1688.

Madame la Dauphine témoignait hautement à sa belle-sœur un mécontentement partagé du Roi et de monsieur le Dauphin. Aussi la réunion de l’auguste intérieur devenait chaque jour plus orageuse. Cependant madame la duchesse de Berry ne s’en sépara pas tout de suite : elle