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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

qu’ils occupaient une place, à charge d’âmes, qui imposait du travail et des devoirs.

J’arrivai à Lyon le 25 août. Avec l’assistance de la garnison autrichienne, on y célébrait bruyamment la fête de la Saint-Louis. La ville était illuminée ; on tirait un feu d’artifice ; la population entière semblait y prendre part. On se demandait ce qu’était devenue cette autre foule qui, naguère, avait accueilli Bonaparte avec de si grands transports. J’ai assisté à tant de péripéties dans les acclamations populaires que je me suis souvent adressé cette question. Je crois que ce sont les mêmes masses, mais diversement électrisées par un petit noyau de personnes exaltées, qui changent et sont entraînées dans des sens différents ; mais la même foule est également de bonne foi dans ses diverses palinodies.

Me voici arrivée à une confession bien pénible. Je pourrais l’épargner, puisqu’elle ne regarde que moi et qu’un sentiment intime ; mais je me suis promis de dire la vérité sur tout le monde ; je la cherche aussi en moi. Il faut qu’on sache jusqu’où la passion de l’esprit de parti peut dénaturer le cœur.

En arrivant à l’hôtel de l’Europe, je demandai les gazettes ; j’y lus la condamnation de monsieur de La Bédoyère et j’éprouvai un mouvement d’horrible joie. « Enfin, me dis-je, voilà un de ces misérables traîtres puni ! » Ce mouvement ne fut que passager ; je me fis promptement horreur à moi-même ; mais, enfin, il a été assez positif pour avoir pesé sur ma conscience. C’est depuis ce moment, depuis le dégoût et le remords qu’il m’inspire, que j’ai abjuré, autant qu’il dépend de moi, les passions de l’esprit de parti et surtout ses vengeances.

Je pourrais, à la rigueur, me chercher une excuse dans tout ce que je venais d’apprendre à Chambéry sur