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VIE DES FEMMES ANGLAISES

sive pruderie, elle semblait prendre grand plaisir à retrouver ce souvenir de sa jeunesse.

La rude tâche de la mère se prolonge, plus ou moins, selon le nombre de ses filles et la facilité qu’elle trouve à les placer. Une fois mariées, elles lui deviennent étrangères, au point qu’on s’invite réciproquement à dîner, par écrit, huit jours d’avance. En aucun pays le précepte de l’Évangile : Père et mère quitteras pour suivre ton mari, n’est entré plus profondément dans les mœurs.

D’un autre côté, dès que le fils aîné a atteint ses vingt et un ans, son premier soin est de se faire un établissement à part. Cela est tellement convenu que le père s’empresse de lui en faciliter les moyens. Quant aux cadets, la nécessité de prendre une carrière, pour acquérir de quoi vivre, les a depuis longtemps éloignés de la maison paternelle.

Suivons la mère. La voilà rentrée dans son intérieur devenu complètement solitaire, car, pendant le temps de ces dissipations forcées, le mari a pris l’habitude de passer sa vie au club. Que fera-t-elle ? Supportera-t-elle cet isolement dans le moment de la vie où on a le plus besoin d’être entouré ? On ne saurait l’exiger. Elle ira augmenter ce nombre de vieilles femmes qui peuplent les assemblées de Londres, se parant chaque jour, veillant chaque nuit, jusqu’à ce que les infirmités la forcent à s’enfermer dans sa chambre, où personne n’est admis, et à mourir dans la solitude.

Qu’on ne reproche donc pas aux femmes anglaises de courir après les plaisirs dans un âge assez avancé pour que cela puisse avoir l’apparence d’un manque de dignité. Les mœurs du pays ne leur laissent d’autre alternative que le grand nombre ou la solitude, l’extrême dissipation ou l’abandon. Si elles perdent leur mari, leur sort est