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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

la position sociale leur paraît la plus brillante. S’il joint un titre à une grande fortune, alors tous les cœurs de dix-huit ans sont à sa disposition.

L’habileté du chaperon consiste à laisser assez de liberté aux jeunes gens pour que l’homme ait occasion de se laisser séduire et engager, et pas assez pour que la demoiselle soit compromise, si on n’obtient pas de succès. Toutefois, le remède est à côté du mal. Un homme qui rendrait des soins assidus à une jeune fille pendant quelques mois et qui se retirerait sans proposer, comme on dit, serait blâmé, et, s’il répétait une pareille conduite, trouverait toutes les portes fermées.

On a accusé quelques jeunes gens à la mode d’avoir su proposer avec une telle adresse qu’il était impossible d’accepter; mais cela est rare. Ordinairement, les assiduités, pour me servir toujours du vocabulaire convenu, amènent une déclaration d’amour en forme à la demoiselle et, par suite, une demande en mariage aux parents.

C’est pour arriver à ces assiduités qu’il faut souvent jeter la ligne plusieurs campagnes de suite. Cela est tellement dans les mœurs du pays que, lorsqu’une jeune fille a atteint ses dix-huit ans et que sa mère, pour une cause quelconque, ne peut la mener, on la confie à une parente, ou même à une amie, pour la conduire à la ville, aux eaux, dans les lieux publics, en un mot là où elle peut trouver des chances. Les parents qui s’y refuseraient seraient hautement blâmés comme manquant à tous leurs devoirs. Il est établi qu’à cet âge une demoiselle entre en vente et qu’on doit la diriger sur les meilleurs marchés. J’ai entendu une tante, ramenant une charmante jeune nièce qu’elle avait conduite à des eaux très fréquentées, dire à la mère devant elle : « We have had no bite as yet this season, but several glorious nibbles », et pro-