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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

Madame de Gontaut m’a raconté que, le lendemain du jour où monsieur le duc de Bordeaux fut séparé de sa sœur pour passer à l’éducation des hommes, elle conduisit, selon son usage quotidien, la petite princesse chez le Roi. Lorsqu’elles traversèrent la salle des gardes du corps, ils ne prirent pas les armes. Mademoiselle s’arrêtât tout court, avec étonnement et l’air fort mécontent. Lorsqu’elle sortit, plus tard dans la matinée, sa voiture se trouva sans escorte.

Le lendemain, la sentinelle qui ne savait pas encore la consigne appela aux armes en la voyant arriver ; elle s’arrêta, lui fit la révérence, et lui dit : « Je vous remercie, mais vous vous trompez, ce n’est que moi. » Elle refusa de faire sa promenade accoutumée.

Madame de Gontaut vit bien que c’était pour ne pas sortir sans escorte. Elle l’examinait attentivement, ne disait rien. Mademoiselle commençait à s’ennuyer de sa réclusion ; elle demanda à sa gouvernante s’il ne serait pas possible de sortir avec son frère, ajoutant qu’il serait bien plus amusant d’aller à Bagatelle avec lui que de se promener de son côté.

Madame de Gontaut lui répondit froidement : « Consultez-vous pendant une demi-heure, et, si, au bout de ce temps, vous venez me dire que c’est pour vous amuser à Bagatelle que vous désirez y aller avec monsieur le duc de Bordeaux, je me charge d’arranger la promenade. » Peu de minutes après, la jeune princesse, en larmes, vint avouer à Amie chérie, comme elle l’appelait, l’orgueilleuse faiblesse de son jeune cœur et le désespoir où elle était d’avoir tout à coup découvert que Bordeaux était tout et qu’elle n’était rien.

Il ne fut pas très difficile à une femme d’esprit comme madame de Gontaut de faire comprendre à une enfant d’une rare intelligence la petitesse de ce genre de pré-