Page:Mémoires de l’Académie des sciences, Tome 8.djvu/252

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peines les plus cruelles. Sa femme[1] qu’il adorait, passa les dix-huit derniers mois de sa vie dans des souffrances non interrompues ; il ne quitta pas le côté de son lit, la consolant, la soignant jusqu’au dernier moment ; il a écrit auprès d’elle une partie de son Histoire des Poissons, et sa douleur s’exhale en plusieurs endroits de cet ouvrage dans les termes les plus touchants. Un fils qu’elle avait d’un premier mariage, et que M. de Lacépède avait adopté, une belle-fille pleine de talents et de graces, formaient encore pour lui une société douce ; cette jeune femme périt d’une mort subite. Au milieu de ces nouvelles douleurs M. de Lacépède fut frappé de la petite-vérole, dont une longue expérience lui avait fait croire qu’il était exempt. Dans cette dernière maladie, presque la seule qu’il ait eue pendant une vie de soixante-dix ans, il a montré mieux que jamais combien cette douceur, cette politesse inaltérable qui le caractérisaient, tenaient essentiellement à sa nature. Rien ne changea dans ses habitudes ; ni ses vêtements, ni l’heure de son lever ou de son coucher ; pas un mot ne lui échappa qui pût laisser apercevoir à ceux qui l’entouraient un danger qu’il connut cependant dès le premier moment. « Je vais rejoindre Buffon, » dit-il ; mais il ne le dit qu’à son médecin. C’est à ses funérailles surtout, dans ce concours de malheureux qui venaient pleurer sur sa tombe, que l’on put apprendre à quel degré il portait sa bienfaisance ; on l’apprendra encore mieux lorsqu’on saura qu’après avoir occupé des places si éminentes, après avoir joui pendant dix ans de la faveur de l’arbitre de l’Europe, il

  1. Anne-Caroline Jubé, veuve en première noce de M. Gauthier, homme de lettres estimable, et sœur de deux officiers généraux distingués.