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d’entre elles, établies et mères de famille, lui ont donné jusqu’à ses derniers moments des marques de leur reconnaissance. On en cite une qui, mourante, lui fit demander pour dernière grace de le voir encore un instant afin de lui exprimer ce sentiment.

M. de Lacépède conduisait des affaires si multipliées avec une facilité qui étonnait les plus habiles. Une ou deux heures par jour lui suffisaient pour tout décider, et en pleine connaissance de cause. Cette rapidité surprenait le chef du gouvernement, lui-même cependant assez célèbre aussi dans ce genre. Un jour il lui demanda son secret. M. de Lacépède répondit en riant : « C’est que j’emploie la méthode des naturalistes : » mot qui, sous l’apparence d’une plaisanterie, a plus de vérité qu’on ne le croirait. Des matières bien classées sont bien près d’être approfondies ; et la méthode des naturalistes n’est autre chose que l’habitude de distribuer dès le premier coup d’œil toutes les parties d’un sujet, jusqu’aux plus petits détails, selon leurs rapports essentiels.

Une chose qui devait encore plus frapper un maître que l’on n’y avait pas accoutumé, c’était l’extrême désintéressement de M. de Lacépède. Il n’avait voulu d’abord accepter aucun salaire ; mais comme sa bienfaisance allait de pair avec son désintéressement, il vit bientôt son patrimoine se fondre et une masse de dettes se former, qui aurait pu excéder ses facultés ; et ce fut alors que le chef du gouvernement le contraignit de recevoir un traitement, et même l’arriéré. Le seul avantage qui en résulta pour lui fut de pouvoir étendre ses libéralités. Il se croyait comptable envers le public de tout ce qu’il en recevait, et dans ce compte c’était toujours contre lui-même que portaient les erreurs de calcul. Chaque jour