Page:Mémoires de l’Académie des sciences, Tome 52.djvu/99

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LI
DE JEAN-BAPTISTE DUMAS

soupçonner l’existence des hautes sciences auxquelles je me livre aujourd’hui avec un enthousiasme sans bornes. Combien j’étais loin de supposer, lors de mon départ, qu’un horizon aussi vaste déploierait à mes yeux toute sa magnificence Quel serrement de cœur j’éprouvai lorsque je sentis toute ma nullité, lorsque je vis en un seul instant s’écrouler l’édifice étroit et borné de mon éducation de collège A cette première impression de découragement et de tristesse succéda bientôt une émulation ardente, qui ne m’a plus abandonné. Elle m’a fait supporter des veilles forcées, de pénibles études. Ah s’il était possible que je perdisse un jour cette avidité de savoir et de connaître, cette soif de science que rien ne saurait éteindre, la vie ne m’offrirait plus aucune douceur. Quelles voluptés, quelles douceurs accompagnent le plein exercice de nos facultés intellectuelles ! Il en est sans doute du savoir comme de la puissance c’est le banquet des dieux. »

Celui qui écrivait cela, ce jeune homme de dix-huit ans, était vraiment mûr pour la recherche personnelle. Il ne tarda pas à en donner la preuve en faisant coup sur coup deux petites découvertes, dont il a raconté le singulier destin.

En analysant divers sulfates et autres sels du commerce, il remarqua que l’eau qu’ils renfermaient s’y trouvait en proportions définies. Après avoir généralisé l’observation, il alla un matin chez G. de la Rive, dont il suivait le cours, mais à qui il n’avait jamais parlé, et lui soumit timidement le manuscrit où elle était consignée. En le parcourant, le professeur ne put cacher sa surprise et lui dit « Berzélius a déjà vu cela, vous avez la bonne fortune de vous rencontrer avec lui ; mais il est plus âgé que vous, il ne faut pas lui garder rancune. » Puis, le voyant tout interdit, il lui prit le bras et, avec sa rondeur affable, l’emmena déjeuner avec : lui. La glace était rompue, la conversation s’anima et Dumas sut gagner pendant ce déjeuner une amitiépréciense, qui ne se démentit jamais.