Page:Mémoires de l’Académie des sciences, Tome 52.djvu/194

Cette page a été validée par deux contributeurs.

était rempli de confiance et me parlait de son intention de se rendre à Hambourg, pour le cinquantenaire de l’Association géodésique internationale, auprès de laquelle il était délégué par le Gouvernement français. Le samedi suivant, il vint à une séance de la Faculté où, à propos d’une candidature, il nous exposa les idées qui lui étaient chères sur la théorie des groupes de substitutions.

L’opération, faite le mardi 9 juillet, parut avoir réussi. J’étais alors au Conseil supérieur de l’Instruction publique, où le cousin germain de notre Confrère, M. Lucien Poincaré, directeur de l’Enseignement secondaire, me donnait chaque jour les nouvelles les plus satisfaisantes. Notre Confrère ne se levait pas encore, mais il s’alimentait quelque peu. Sans négliger aucune précaution, la famille commençait à perdre toute inquiétude. Un accident imprévu, une embolie sans doute, est venu, le 17 juillet, tromper toutes nos espérances. En un quart d’heure à peine, la mort a enlevé celui que nous regardions comme définitivement sauvé. Quand la funeste nouvelle nous fut annoncée, nous demeurâmes longtemps sans vouloir y ajouter foi. Vous vous rappelez, mes chers Confrères, l’émotion qu’excita partout cette mort prématurée. On peut répéter ici ce qu’il a dit lui-même, lors de la mort de Curie. Il n’était pas un Français, si ignorant qu’il fût, qui ne sentit plus ou moins confusément quelle force la Patrie et l’Humanité venaient de perdre.


Henri Poincaré, disait notre confrère Paul Painlevé, était vraiment le cerveau vivant des Sciences rationnelles. Mathématiques, Astronomie, Physique, Cosmogonie, Géodésie, il a tout embrassé, tout pénétré, tout approfondi. Inventeur incomparable, il ne s’est pas borné à suivre ses aspirations, à ouvrir des voies inattendues, à découvrir dans l’univers abstrait des mathématiques mainte terre inconnue. Partout où la raison d’un homme a su se glisser, si subtils, si hérissés qu’aient été ses chemins, qu’il s’agît de télégraphie sans fil, de phénomènes radiologiques ou de la naissance de la Terre, Henri Poincaré s’est glissé près de lui pour aider et prolonger ses recherches, pour suivre le précieux filon.

Avec le grand mathématicien français disparaît donc le seul homme dont la pensée fût capable de faire tenir en elle toutes les autres pensées, de comprendre jusqu’au