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CLIGÈS 325

son roman les dimensions voulues, avoir un prétexte à une série de subtils monologues d'amour et rattacher extérieurement son récit à la cour d'Arthur, alors dans toute sa vogue litté- raire, mais pour amener l'usurpation d'Alis et par suite son engagement de ne pas se marier \ Il ajouta encore les exploits de Cligès en Allemagne, son voyage aventureux en Bretagne (nouveau point de contact avec la Table Ronde), où il mit en œuvre un lieu commun d'origine mythique devenu traditionnel : il donnait ainsi à Cligès ce prestige chevaleresque dont ne pou- vait se passer un héros de roman. Mais sa grande innovation fut la transformation qu'il fit subir à l'esprit du conte; il y intro- duisit une conception raffinée de l'amour (illégitime), qu'il opposa à la conception plus naïve de Tristan ^ : c'est par une délicatesse inconnue à Iseut aussi bien qu'à l'héroïne du vieux conte judéo-byzantin que Fénice recourt au stratagème qui lui permettra d'être exclusivement à son amant (déjà le breuvage composé par Thessala, imité sans doute du charme employé par Orable dans les Enjances Guillaume^ l'avait préservée des

��1 . Ainsi ce préambule n'est pas aussi inutile qu'il semble l'être au premier abord, et le lien entre les deux parties du roman n'est pas aussi purement extérieur que je l'ai dit ci-dessus.

2. Je saisis l'occasion de signaler ici un très intéressant article de M. F. -M. Warren sur les romans d'aventure publié dans les Modem Language Notes de Baltimore(t. XIII, 1898, p. 339-351); l'auteur y rapproche Aniadas et Idoine (où Tristan est cité quatre fois) de Cligès : Idoine, comme Fénice, trouve un moyen (ici plus compliqué, bien que sans magie) de ne pas appar- tenir au mari qu'elle a épousé malgré elle ; elle se refuse à son amant tant qu'elle n'est pas séparée de son mari (et même divorcée) ; enfin (mais dans de tout autres conditions). Idoine, comme Fénice, passe pour morte et revient à la vie. M. Warren, qui a très bien apprécié le caractère de Cligès (quoiqu'il aille trop loin en disant que ce roman n'a pu être inspiré par Marie de Cham- pagne), conclut ainsi : « Il semble que la littérature française du xu= siècle contenait une trilogie sur le thème de l'amour d'une femme mariée : dans Tristan, l'amour n'est contraint ni par la moralité personnelle ni par le souci de l'opinion publique ; dans Cligès, il est tenu compte de l'une et de l'autre (mais de la seconde beaucoup plus que de la première) ; dans Aniadas, le problème est résolu dans l'intérêt commun et d'accord avec les devoirs des trois personnages qui y sont impliqués. »

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