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324 LE ROMAN

morte est un des nombreux contes qu'on a inventés, un peu partout, pour illustrer la malice des femmes, et que de bonne heure il a été rapporté, dans la tradition juive, au roi Salomon, pour montrer comment le plus sage des hommes avait lui- même été dupe d'une femme '. Ce conte pénétra à Constanti- nople et y fut traité de deux façons différentes. Dans un roman dont le fond nous a été conservé par des imitations slaves et allemandes, et qui conservait le nom de Salomon, on le com- pléta en faisant prendre au mari trompé une éclatante revanche, dont la forme paraît empruntée à une autre histoire touchant de près au cycle de Raso, et que l'on retrouve à l'état isolé dans le Bâtard de Bouillon, la légende portugaise de Ramiro et la ballade écossaise. Quant à l'histoire de la feinte morte, nous la retrouvons en Occident, rapportée à la femme de Salomon, dans les nombreuses allusions que j'ai citées, et, dépouillée de tout rapport avec Salomon, dans le conte connu par Martin Le Franc. Une variante particulière remplaçait Salomon par un empereur grec et faisait du séducteur le neveu de cet empereur : il enlevait l'impératrice, à l'aide du stratagème connu, non pour l'emmener dans son pays, mais pour la garder dans un asile secret, et les amants, finalement découverts^ étaient punis. C'est sous cette forme qu'un clerc de Beauvais, au xii^ siècle, entendit raconter l'histoire, dont il fit un résumé latin. Chré- tien de Troies, quand il lut ce résumé, connaissait déjà l'his- toire dans la forme où elle était attribuée à Salomon, et il ne put s'empêcher de remarquer la ressemblance des deux contes ^. C'est le conte de Beauvais qu'il choisit pour le développer : le fait que l'amant de l'impératrice y était le neveu de l'empereur lui permettait de donner à Tristan un pendant exact. Il ajouta l'histoire des parents de Cligès, non seulement pour donner à

��1 . On sait que la même idée a fait attribuer des mésaventures analogues à Hippocrate, à Aristote, à Virgile, regardés comme les sages par excellence. Les infortunes conjugales de Constantin, au contraire, semblent ne s'être attachées à lui que fortuitement ; elles remontent à un conte indien qui est devenu l'histoire-cadrc des Mille et une Nuits.

2 . On peut croire aussi que Chrétien n'a eu connaissance de l'histoire de la femme de Salomon que quand il avait commencé à écrire son roman.

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