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312 LE ROMAN

éliminer tant de traits qui sont liés inséparablement ' au sujet et qui motivent l'action ? Même les trois médecins de Salerne ? Et aurait-il également omis la découverte de la ruse ? Plus déci- sives encore que les omissions inexpliquées sont des différences importantes dans le récit. L'esclave Jean devient un ami ^, la tour merveilleuse une maison ordinaire; plus encore, c'est l'em- pereur lui-même qui ordonne l'épreuve avec le plomb fondu. Mais ce qui pèse plus que tout cela, c'est une différence fonda- mentale : le couple amoureux pratique déjà l'adultère avant la mort simulée de la femme. Or tout notre roman repose précisément sur la continence des amants : c'est sur cette donnée qu'il est construit, par opposition à l'amour adultère de Tristan. Dans Marques., la situation est au contraire tout à fait celle de Tristan. Ce trait suffit à nous faire juger la version de Marques comme plus primitive : le livre de Chrétien n'aura alors pas contenu beaucoup plus que ce conte XI de Marques de Rome. »

L'argument donné par M. Foerster comme à lui seul décisif ne l'est peut-être pas autant qu'il le pense : on peut répondre avec M. Mettrop que l'auteur de Marques, mettant son conte dans la bouche de l'impératrice, devait aggraver autant que pos- sible l'odieux du rôle de Cligès ; en ce qui concerne les omis- sions, on peut dire aussi, avec le critique néerlandais, que cet auteur, dont les récits sont d'ailleurs toujours secs et décharnés, devait éliminer tout ce qui n'était pas essentiel au dessein de la narratrice : persuader l'empereur du danger qu'il y a à se fier à ceux dont on se croit le plus sûr. Je pense néanmoins que c'est l'opinion de M. Foerster qui est la vraie. En effet, dans les traits essentiels où le récit de Marques diffère du roman de Chré- tien, il est d'accord avec les autres représentants du conte : l'im- pératrice ne prend pas de stupéfiant, mais fait seulement sem- blant d'être morte ; les épreuves qu'on lui fait subir se réduisent

��1. Le mot est un peu excessif, puisque nous voyons le récit subsister sans ces traits dans Marques.

2. On peut ajouter que cet ami ne paraît nullement initié à la fabrication du sarqueuil.

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