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308 LE ROMAN

Les sentiments de Fénice, comme je l'ai remarqué plus haut, ne sont pas non plus sans incohérence : l'amour soudain dont elle se prend pour un inconnu, uniquement à cause de sa beauté, n'est pas fort touchant, et ses relations avec son mari, qui n'a aucun tort envers elle, manquent de loyauté. Le conte de la « fausse morte » est un des nombreux récits inventés pour illustrer la malice féminine. Chrétien a voulu s'en servir pour glorifier le parfait amour : l'idée était acceptable, et il en a parfois tiré un assez heureux parti ' ; mais en somme il aurait pu y mieux réussir ^ et quant au fond même du conte, l'histoire de la feinte mort, il l'a, nous l'avons vu, traité avec beaucoup de maladresse et de négligence.

Ce qui nous reste à examiner, c'est ce qu'est le conte en lui- même, quelle origine on peut lui supposer, et sous quelle forme et par quel intermédiaire on peut croire que Chrétien l'a connu.

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��Chrétien, au début de son poème, nous assure qu'il en a puisé le sujet dans un livre appartenant à la célèbre bibliothèque de l'église Saint-Pierre de Beauvais :

Geste estoire trovons escrite, Que conter vos vueil et retraire, En un des livres de l'aumaire Mon seignor Saint Père a Beauvaiz :

��1. Le hardi stratagème qu'emploie Fénice lui est inspiré par un sentiment en somme louable, et c'est à peu près le seul moyen par lequel elle puisse satisfaire à la fois son amour, sa délicatesse et son souci de respect ahilit y.

2. Le thème de la jeune fille qui accepte de prendre un breuvage qui la fera passer pour morte afin d'échapper à un mariage odieux et rejoindre celui qu'elle veut épouser {Roméo et Juliette) a, au fond, un caractère tout autre que celui de la <( fausse morte », mais il lui ressemble par le motif principal et s'est parfois confondu avec lui (j'en reparlerai par la suite). Clirétien aurait pu construire son roman sur cette donnée, sans y introduire l'adultère.

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