Page:Mélanges de littérature française du moyen âge.djvu/298

Cette page n’a pas encore été corrigée

294 LE ROMAN

comme Alis, ignore la fraude dont il est victime et croit réelle- ment posséder la femme dont il ne jouit qu'en songe '. C'est là que Chrétien aura pris le motif ; s'il a, seul, donné au sortilège la forme d'un breuvage, c'est par imitation du boivre amoureux de Tristan.

Je passe rapidement sur les incidents suivants, qui ne servent qu'à allonger le roman. Alis, accompagné de l'empereur d'Alle- magne, prend le chemin du retour. Après Raineborc (Ratis- bonne) sur la Dunoe (le Danube) ', les Saisnes (Saxons) les attaquent. Cligès accomplit de grandes prouesses, tue le neveu du duc de Saissoigne, délivre Fénice qui avait été enlevée, et, plus tard, armé chevalier par l'empereur d'Allemagne, contraint le duc, dans un combat singulier, à renoncer à sa prétention sur Fénice. Alors il se décide, pour obéir à la recommandation de son père, à se rendre en Bretagne ; il prend congé d'Alis, qui ne le laisse partir qu'à regret, et de Fénice, qui, cachant sa dou- leur, suit son mari à Constantinople. Je signalerai seule- ment les passages qui ont trait à l'amour des deux héros.

Cligès a repris Fénice à ses ravisseurs, et la ramène au camp des empereurs. Ils chevauchent seuls côte à côte : ils peuvent donc librement s'ouvrir leurs cœurs ; mais chacun a si peur d'être mal reçu qu'aucun n'ose parler. Et pourtant chacun révèle à l'autre sa pensée par ses regards : ils parlent avec leurs yeux, mais

��1. On lit aussi dans le roman de Merlin (P. Paris, les Romans de la Table Ronde, t. II, p. 334): « Viviane aimait Merlin, tout en ne voulant pas lui sacrifier sa virginité. Pour accorder ce double sentiment, elle avait fait un charme sur l'oreiller où Merlin posait sa tête, et ce charme lui représentait en songe les plaisirs qu'il croyait devoir à la tendresse de son amie. » Il en est encore à peu près de même dans un épisode de Charles le Chauve (Nyrop, /. c). Mais ces variantes sont bien postérieures à notre roman.

2. Chrétiçn cite Tihaut rEsclavon dans Érec : il connaissait donc les poèmes où il figure, et sans doute celui où Orable, éprise de Guillaume d'Orange et mariée à Tibaud, se conserve, par son art magique, pure pour celui qu'elle épousera plus tard.

3. Les noms de Raineborc et de Diinoe sembleraient indiquer chez le poète une certaine connaissance de l'Allemagne ; mais il ne la connaissait sans doute que vaguement et par ouï-dire, car il fait arriver (v. 5400) la Noire Forest jusqu'au Danube.

�� �