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C LIGES 293

Tristan, mais un pendant ' de Tristan, non, un « Tristan retourné », mais un « nouveau Tristan », mieux adapté que l'ancien au goût et aux façons de sentir de la haute société française du xii^ siècle, et particulièrement des femmes de cette société. La tentative eut le plus grand succès comme le montrent les éloges dont Cligés est l'objet dans un grand nombre de textes, et on assura sans doute le poète, dans les cercles mon- dains, que le nouveau Tristan était bien supérieur à l'ancien. On sait aujourd'hui à quoi s'en tenir : Cligcs ne sera jamais lu que par les érudits, et Tristan, sous les diverses formes qu'il a déjà revêtues et qu'il revêtira encore, restera un enchante- ment pour les générations successives des hommes. Ce n'est pas uniquement la faute de Chrétien : les œuvres qui se con- forment à une convention passagère et spéciale n'ont jamais qu'une existence éphémère en regard de celles dont les racines plongent jusque dans le fond inconscient et toujours identique de l'âme humaine.

Je reprends maintenant le résumé de l'histoire. Thessala entre dans les idées de Fénice et lui offre un moyen de sortir d'em- barras : Thessala composera un hoivre qu'elle fera prendre à Alis, et par l'effet duquel il s'endormira toutes les nuits auprès de sa femme et, ne la possédant qu'en songe, croira la posséder réel- lement. Fénice est tout heureuse de cet expédient, et, au festin des noces, Thessala fait verser à Alis par Cligès lui-même (qu'elle ne met pourtant pas dans le secret) le breuvage magique qu'elle a préparé. Il fait son effet cette nuit et les suivantes : Alis, jusqu'à ce qu'on le détrompe, croira être pleinement le mari de celle qui n'est sa femme que de nom. Ce trait d'une femme qui, grâce à un sortilège, se conserve vierge aux côtés d'un mari qu'elle n'aime pas se retrouve non seulement dans des contes répandus, mais dans plusieurs poèmes de l'épopée fran- çaise^. Dans un seul, — les Enfances Guillaunie, — le mari.

��1. Plutôt qu'une « contre-partie », comme je l'ai dit précédemment.

2. La plupart de ces parallèles ont été cités par M. Nyrop dans son livre sur l'Epopée française (trad. Gorra, p. 76). Voir encore la note de la page 1.VIII de mon introduction à Orsoi de Beaiivais et J. Mettrop, Roiuania, t. XXXI, p. 434.

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