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292 LE ROMAN

la blonde' (v. 5310 et suiv.). C'est donc la crainte des juge- gements du monde, plus encore que la délicatesse des senti- ments, qui la pousse à la résolution qu'elle prend de se faire passer pour morte et de s'enfermer pour le restant de sa vie ^ dans une retraite inaccessible à tous, sauf à Cligès K Si, laissant de côté cette préoccupation bien féminine du qu'en dira-t-on, nous nous en tenons à la répugnance de Fénice pour la vie d'Iseut, nous verrons que l'idéal qu'incarne le roman dont elle représente la pensée intime est celui non de l'amour « moral », mais de l'amour tout court, d'un amour plus raffiné que celui de Tristan en ce qu'il n'admet pas le partage de la femme, mais pour lequel mariage et adultère sont des considérations tout à fait accessoires et même négligeables, la seule chose essentielle étant la pleine et exclusive possession des deux amants l'un par l'autre.

J'ai anticipé, dans ces remarques, sur la suite du roman, pour en bien dégager l'esprit, et montrer qu'il est non un Auti-

��1 . Combien 1' « idéal w de Fénice est peu conforme à la « morale bour- geoise », c'est ce que montre l'étrange réflexion dont elle accompagne ce dis- cours : le coiiiandement saint Pol Fait huen garder et retenir : Oui chastes ne se viaut tenir, Sain^ Pos a faire li enseigne Si sagement que il nenpreigne Ne cri ne hlasnie ne reproche. Fénice attribue ici à saint Paul (en quoi elle le calomnie gravement) le brocard qui a tant couru dans le monde clérical d'autrefois : si non caste, tamen caule (il y a sans doute confusion avec le passage connu de l'épître aux Corinthiens, I, vu, 8, où l'apôtre dit qu'il vaut mieux se marier que de brûler). Ainsi ce qui importe aux yeux de cette personne, qui incarne l'idéal « rigoureusement moral » de Chrétien, ce n'est pas la chasteté, c'est la bonne réputation.

2. Elle semble cependant admettre que cet exil peut finir, et que la mort d'Alis lui permettra quelque jour de régner avec Cligès (v. 5353 et suiv.). On ne voit pas bien comment elle concilie cet espoir avec ce qu'elle a dit plus haut : le monde ne croira-t-il pas toujours qu'elle a appartenu en même temps à Alis et à Cligès ?

3. Autre inconséquence: quand les amants ont été découverts dans leur retraite, ils se réfugient à la cour d'Arthur, comme Cligès avait, dès le com- mencement, proposé à Fénice de le f;\ire, et cette fois elle ne fait plus d'objection. Le poète a sans doute voulu faire entendre que « nécessité n'a point de loi ».

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