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CLIGÈS 289

savant critique l'a faussée en la poussant trop loin. « C'est^ dit-il (p. xxiii), dans les amours régulièrement bourgeoises, finissant, selon les plus strictes convenances, par le mariage, des parents de notre héros qu'on a l'idéal de Chrétien, qu'il oppose à l'amour adultère d'Iseut. Malheureusement l'histoire de telles amours, toute morale qu'elle soit, ne peut offrir un motif de roman et valoir au poète l'admiration du grand public dont il recherche précisément l'approbation'. Aussi Chrétien fait-il suivre cette première histoire d'un amour conjugal normal et simple par une seconde histoire, celle d'un amour très compli- qué, entravé par des conflits de devoirs ^, qui semble mener tout droit à l'adultère, et que le poète, après d'émouvantes péri- péties, sait conduire, par un habile artifice, — non sans que les amants aient fait quelque brèche à la morale courante, — à la solution souhaitée, rigoureusement morale. Ces deux histoires d'amour honnête sont le fondement et le plan de tout le roman. Que ce fût bien là le seul dessein du poète, c'est ce que montre le fait que par trois fois il revient avec plus ou moins d'insis- tance sur le même sujet (l'opposition de l'amour de Fénice à celui d'Iseut). . . Cela suffit pour caractériser Cligcs comme un Anti-Tristan. Chrétien avait traité littérairement, sans doute à

��térise comme une réédition moralisante de Tristan par la polémique même qu'il engage contre lui. » Le mot « moralisante », comme on le verra, n'est pas d'une parfaite justesse. M. Grobtï (Grwidriss, II, 499) s'était surtout attaché à relever les situations parallèles dans les deux romans. — Dans une note de la seconde (petite) édition à'Yvain (1902), qui me parvient à l'instant (1. 2, 1. Antitristan pour Antikristian), M. Fôrster cite lui-même d'autres prédéces- seurs (déjà Von der Hagen, et récemment MM. Golther et Suchier). M. Bédier avait depuis longtemps l'intention de faire à ce point de vue une étude com- parée des poèmes de Chrétien et du Tristan.

1. Pourquoi donc? Tous les romans d'aventure, ou peut s'en faut, nous racontent l'histoire d'un amour entre personnes libres, terminé par le mariage ; l'intérêt est dans les péripéties qui s'opposent à l'union des amants.

2. Il est difficile de voir des « conflits de devoirs » dans Cligès ; c'est à peine si l'on peut parler d'un conflit entre le devoir et la passion ; encore n'existe-t-il que pour Cligès, qui, un moment au moins, est retenu par la pensée que Fénice est la femme de son oncle ; quant à celle-ci, ses devoirs envers celui qu'elle a épousé ne la préoccupent pas un seul instant.

G. Paris. — Moyen âge. 19

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