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C LIGES 279

Or l'OS reparlerai del dart

Mais je dot moût que je n'i faille ; Car tant en est riche la taille Que n'est merveille se g'i fail ; Et si métrai tôt mon travail A dire ce que moi en semble.

Ce dard, c'est maintenant Soredamours elle-même, dont la beauté est décrite sous cette figure, de la façon la plus obscure et la plus recherchée'. Et Alexandre conclut par une soumis- sion complète à Amour. — J'ai cité ce morceau, d'abord pour montrer la virtuosité de Chrétien dans un des endroits où il en fait le plus mauvais usage, mais où cependant elle a sans doute été le plus admirée^ puis pour demander encore s'i est admissible que la première source de nos poèmes sur Tristan soit une œuvre d'un poète qui écrivait dans ce goût.

L'influence de Tristan, — mais d'un Tristan qui n'était pas de lui, — se montre encore dans plusieurs détails que M. Fôrster a relevés avec soin, et dont deux surtout sont intéressants. On connaît ce merveilleux épisode du Tristan primitif, — que le rationaliste Thomas a cru devoir écarter comme absurde, — du cheveu d'or d'Iseut, apporté d'Irlande en Cornouailles par une hirondelle, et qui décide le roi Marc à n'épouser que la femme à qui il appartient, si bien que Tristan part à l'aven- ture pour la chercher. C'est probablement ce trait qui a sug- géré à Chrétien l'idée du cheveu de Soredamours, plus brillant que Tor où elle l'a entrelacé. N'est-ce pas, soit dit en passant, un symbole exact de la façon dont Chrétien aurait transformé la matière de Tristan s'il l'avait traitée ? Il aurait traduit la poé- sie archaïque, enchanteresse et enfantine, du vieux conte ^ en

��1. Voyez la note (sur le v. 791) dans laquelle M. Fôrster s'etforce d'éclair- cir ce galimatias. M. Mussafia, n'v comprenant rien, avait proposé d'ad- mettre une lacune, et M. Fôrster s'était rallié à cette proposition dans son édition précédente.

2 . On sait que cette partie de Thistoire de Tristan n'est qu'une des formes du conte de la Bette aux cljeveiix it'or, répandu chez divers peuples, dans plusieurs variantes duquel on retrouve les hirondelles qui se disputent le cheveu de la belle. Dans le conte égvptien des Deux frères, c'est le Nil qui amène au pharaon la tresse d'or de l'inconnue qu'il va conquérir.

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