Page:Mélanges de littérature française du moyen âge.djvu/164

Cette page n’a pas encore été corrigée

1^0 L*ÉPOPEE

t'en garantir. »> Cette parole, dit le poète, écho fidèle ici de la vieille chanson, décida la perte de Raoul : il avait blasphémé % il avait mis le comble à cette desmesure qu'il portait dans toutes ses actions, et qui fait de lui par excellence, comme l'Achille de l'antique épopée, comme Roland aussi, quoiqu'il les dépasse xie beaucoup tous les deux en orgueil, en cruauté et en violence, un héros éminemment tragique. A peine a-t-il proféré ces mots impies que survient celui qui, depuis le commencement du poème, désigné par une inéluctable fatalité, est de plus en plus forcément amené à devenir l'instrument qui lui infligera le châtiment de ses excès. Bernier se place entre les deux ennemis. Une dernière fois il propose à Raoul de mettre fin à leur discorde ; il lui offre les conditions les plus honorables, pourvu seulement qu'il épargne Ernaud, lequel d'ailleurs, avec son poing coupé, est un homme mort, qu'un vaillant chevalier ne doit pas toucher. « Bâtard, dit Raoul, tu plaides bien, mais tes beaux discours n'empêcheront pas que toi et lui vous n'ayez la tête tranchée. — Assez d'humilité^ » répond Bernier, et il s'élance sur lui. A la seconde reprise, il assène sur la tête de Raoul un tel coup qu'il tranche le heaume et la coifle, et que la lame pénètre dans la cervelle. Raoul tombe de cheval ; il lève encore son épée, mais son bras incertain le trahit, et elle retombe lourdement ; sa bouche se contracte, ses yeux se troublent ; il se sent mourir, et prie Dieu de lui pardonner. Bernier pleure sous son heaume en voyant qu'il a tué celui qu'autrefois il aimait tant ; mais Ernaud, tout à l'heure si défaillant, veut « venger son poing ». Il plonge son épée dans le corps étendu de Raoul. « L'âme du noble chevalier s'en va; que Dieu la secoure, s'il est permis de prier pour lui ! »

J'arrêterai là ce résumé. Ce qui suit, dans le poème rimé, n'est nullement dénué d'intérêt, mais entame un nouveau sujet, la vengeance de Raoul. Le principal personnage, avec Guerri le Sor et Bernier, en est Gautier, fils d'une sœur de Raoul, élevé par sa grand'mère Aalais dans la pensée unique de venger

��1. Il est probable que le blasphème, dans l'idée de la vieille chanson, attei- gnait aussi bien la terre et l'herbe que Dieu lui-même. Il semble qu'il y ait là un reste de vieille croyance et comme une formule mythique.

�� �