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158 l'épopée

n'est pas tout : d'Origni à Nesle (il y a quatorze lieues) j'irai à ta rencontre avec cent chevaliers, chacun portant une selle sur la tête ; moi, j'y porterai la tienne, et à tous ceux que je rencontrerai je dirai : C'est la selle de Bernier \ » Mais Bernier refuse de nouveau ; il bande sa tête blessée, revêt ses armes, monte à cheval, et, sonnant du cor, quitte le camp de Raoul pour aller à Ribemont trouver son père, lui annoncer les ter- ribles événements qui viennent de se passer, et lui déclarer qu'il se range désormais sous son étendard. Voilà encore des scènes qui rappellent les parties les plus archaïques de VIliade, et auxquelles, malheureusement, il a manqué un Homère.

Les fils d'Herbert, prévenus, montrent autant de modéra- tion que de courage. Ils envoient à Raoul un premier message lui proposant la paix, sans qu'il ait à les indemniser pour le tort qu'il leur a déjà fait, et lui offrant de l'aider à combattre le Manceau, qui occupe son fief légitime. Guerri, l'oncle de Raoul, est disposé à accepter des propositions si honorables. « Ah ! s'écrie Raoul, on ne dira plus du sor Guerri qu'il n'a pas en hardiesse son pareil au monde ! » Guerri offensé jure de ne pas faire la paix. Le messager revenu avec une réponse négative, les fils d'Herbert ne renoncent pas encore à la conci- liation. Ils envoient à Raoul Bernier lui-même, qui se déclare disposé maintenant à accepter une réparation, et renouvelle les offres des siens. Raoul est prêt à céder ; il le dit à son oncle : « Tu m'as appelé couard l'autre jour, répond Guerri ; mainte- nant j'ai mis ma selle sur mon cheval de guerre, et je ne l'en ôterai pas. Si tu as peur, va te cacher à Cambrai. Moi je défie les fils d'Herbert et je refuse tout accord. » Bernier alors, arra- chant trois poils de son hermine, les jette au visage de Raoul, renonçant ainsi à tout lien de vasselage avec lui ^, et part en s'écriant : « Vous ne direz pas que je vous ai trahis ! « La destinée qui plane sur Raoul se rapproche de lui à chaque moment.

��1. Les éditeurs renvoient à divers autres exemples de cette « amende », qui remonte aux usages du vieux droit germanique.

2. Encore un usage symbolique fondé sur les coutumes juridiques des Germains, et qui se retrouve dans d'autres chansons féodales.

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