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DA UREL ET BETON 1 4 9

Tel est le poème de Daitrel et Béton. Si maintenant nous arri- vons à la question que nous nous étions posée avant d'en pré- senter le résumé, nous pourrons seulement dire que, tant dans l'allure générale du récit que dans les détails, à côté des ressem- blances frappantes avec les chansons de geste françaises, on peut relever certaines différences. L'auteur, disons-le tout de suite, n'est doué d'aucun talent particulier ; il emploie assez gauchement les données qu'il emprunte, il motive mal, il force certains traits et en esquisse d'autres trop sommairement. Nourri de poèmes français, il les a copiés, soit consciemment soit h son insu, quand il a essayé, comme Daurel, de trouver à son tour. Toutefois il me semble qu'on goûte dans son œuvre une saveur particulière, qui ne lui est sans doute pas personnelle, qui fait plutôt l'effet d'un goût de terroir. Les guerres ne l'intéressent pas : après nous avoir annoncé l'invasion du pays de Vamirat par le terrible Gormon, ce qui donne occasion à Béton d'ac- complir ses premières prouesses, il oublie tout à fait cette guerre, tandis qu'un événement analogue joue un rôle capital dans Bovon de Hanstoue, Jourdain de Blaie et Orson de Beauvais. Il néglige également les amours de Béton et de la fille de Vamirat si complaisamment décrites dans les poèmes qu'il imite. En revanche il se plaît aux dialogues et aux peintures de genre, souvent heureuses ou originales : voyez, par exemple, le petit tableau de la visite faite par un pêcheur à la nourrice de Béton, la scène où Daurel joue de la viola pour calmer l'enfant qui pleure dans la barque où il l'emmène, celle où Béton chante devant la jeune princesse sarrasine, etc. Je sais bien qu'on trouverait sans peine des passages semblables dans nos chansons de geste, mais l'auteur de Daurel s'y complaît, s'y arrête, lui qui d'ordinaire est si pressé, y montre une certaine grâce qu'on ne rencontre pas souvent dans les poèmes de ce genre. Pour les formules toutes faites, beaucoup assurément viennent du français; mais d'autres en rappellent de pareilles dans Girard de Roussillon, dans Aigar et Maiirin, poème tout provençal, dont nous n'avons malheu- reusement qu'un fragment. Il est bien vraisemblable en effet qu'un jongleur méridional n'aura pas suivi uniquement des modèles du Nord. En tout cas, l'existence de son poème suffit à prouver qu'au xii^ siècle les gens du Midi n'étaient pas réduits, quand ils voulaient entendre chanter des chansons de geste, à

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