Page:Lytton - Rienzi, le dernier des tribuns de Rome, tome 2, 1865.djvu/201

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
197
RIENZI.

au marché turbulent et tumultueux où ils exerçaient leurs métiers. Malgré la protection des cavaliers qui les escortaient, les prisonniers ne purent passer sans être molestés. Des rassemblements de marmots, sales, farouches, déguenillés, semblaient sortir de dessous terre et entouraient leurs chevaux comme des essaims d’abeilles en poussant les cris les plus discordants ; avec des gestes de sauvages, ils exigeaient plutôt qu’ils ne demandaient quelque aumône, et l’argent qu’on leur accordait ne faisait que les rendre plus insatiables. En même temps on voyait mêlés quelquefois au reste, les yeux brillants, les joues olivâtres, les visages souriants ou mutins de quelques fillettes, dont l’extrême jeunesse, à peine sortie des limites de l’enfance, rendait bien plus frappant l’abandon de leurs meurs et leur dépravation précoce.

« Vous n’avez pas exagéré la bonne tenue de la Grande Compagnie, dit gravement le chevalier à sa nouvelle connaissance.

— Seigneur, répliqua l’autre, il ne faut pas juger de l’amande par le noyau. Nous ne sommes pas encore arrivés au camp. Nous n’en sommes encore qu’aux faubourgs, occupés plutôt par la canaille que par les soldats. Vingt mille hommes pris, il faut l’avouer, dans le rebut de loutes les villes d’Italie, suivent le camp, pour combattre en cas de besoin, mais plutôt pour la maraude et le pillage ; ce sont eux que vous avez sous les yeux. Vous allez voir autre chose tout à l’heure. »

Le cœur du chevalier était gros de chagrin. « Et c’est à de pareilles gens que l’Italie est abandonnée ! » pensa-t-il. Sa rêverie fut interrompue par une bruyante salve d’applaudissements qui parlait près de lui d’un groupe de gens en ripaille. Il se retourna et vit, sous une longue tente, trente ou quarante coupe-jarrets, assis autour d’une table couverte de vins et de victuailles. Un menestrel ou jongleur en haillons, avec une barbe et des