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RIENZI.

Il peut être ambitieux et fier, toutes les grandes âmes le sont, mais jamais il n’a eu un seul désir qui n’eût pour but le bien-être de Rome. Laissons donc là toute question relative à ses intérêts, ce n’est pas d’eux que je parle. Vous désirez rétablir à Rome le pouvoir du pape. Vos sénateurs y ont échoué. Les démagogues échouent de même. Rienzi seul peut y réussir, lui seul peut commander aux passions turbulentes des barons, lui seul peut gouverner les caprices de la populace mobile. Mettez Rienzi en liberté, rétablissez-le, et Rienzi rendra Rome au pape.

Le cardinal resta quelques moments sans répondre. Plongé dans une espèce de rêverie, il était assis immobile, se couvrant la figure de ses mains. Peut-être se disait-il secrètement que les suggestions de la belle suppliante renfermaient une politique plus sage qu’il ne se souciait de le reconnaître ouvertement. Levant enfin la tête, il fixa les yeux sur la figure attentive de la signora, et dit avec un sourire forcé :

« Pardonnez, madame, mais pendant que nous faisons là de la politique, n’oubliez pas que je suis votre adorateur. Vos conseils peuvent être fort sages, mais quel est le motif de votre insistance ? Pourquoi cette anxiété, cet intérêt pour Rienzi ? Si en le relâchant l’Église peut gagner en lui un allié, suis-je sûr que Gilles d’Albornoz ne servira pas un rival ?

— Monseigneur, dit la signora en se levant à demi, vous êtes un de mes prétendants, mais votre rang ne me tente point, votre or ne peut m’acheter. Si vous m’aimez, j’ai le droit de réclamer vos services pour toute chose dont j’ai besoin, c’est la loi de chevalerie. Si jamais je cède aux instances d’un amant mortel, ce sera à l’homme qui rendra à mon pays natal son héros et son sauveur.

— Belle patriote, dit le cardinal, si vos paroles encouragent mon espoir, elles humilient un peu mon ambition.