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RIENZI.

bition n’a pu rêver de plus noble but, et je trouve qu’on devrait être plus fier de se voir à vos pieds que sur le trône de Saint-Pierre. »

Soit indignation, soit vanité flattée, une rougeur momentanée passa sur les joues de la signora, et fit place bientôt à une pâleur extrême. Elle fut quelque temps avant de répliquer, puis, fixant ses grands yeux fiers sur l’Espagnol épris de ses charmes, elle lui dit à voix basse :

« Monseigneur cardinal, je n’affecterai point de me méprendre sur le sens de vos paroles, et je ne les mettrai point sur le compte d’une galanterie vague et générale. Je suis assez vaine pour croire que vous vous imaginez parler en toute vérité quand vous dites que vous m’aimez.

— Que je m’imagine ! répéta l’Espagnol.

— Écoutez-moi, poursuivit la signora. Celle que le cardinal Albornoz honore de son amour a quelque droit à lui en demander des preuves. Il n’y a pas dans la cour pontificale de pouvoir égal au vôtre : je vous prie de l’exercer en ma faveur.

— Parlez, chère dame, vos domaines ont-ils été saisis par les barbares déprédateurs de ces temps où l’on ne connaît plus de lois ? Y a-t-il quelque téméraire qui ait osé vous offenser ? Des terres, des titres, que demandez-vous ? Mon pouvoir est votre esclave.

— Non, cardinal ! Il y a quelque chose de plus cher à une italienne que la richesse ou la grandeur, c’est la vengeance. »

Le cardinal recula devant l’ail étincelant qui était fixé sur lui ; mais l’ardeur de ces paroles éveilla sa sympathie.

« Voilà, dit-il après quelque hésitation, voilà la voix d’un grand cœur. La vengeance est le luxe des âmes bien nées. Il n’y a que les serfs et les manants qui puissent pardonner une injure. Continuez, belle dame.