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RIENZI.

des galants d’Avignon. Ses femmes étaient assiégées de cadeaux et de billets doux ; et la nuit, sous ses jalousies, se faisait entendre la plaintive sérénade. Elle jouait un grand rôle dans les joies dissipées de la ville, et ses charmes partageaient la célébrité du jour avec les vers de Pétrarque. Mais si elle ne fronçait les sourcils pour personne, personne en revanche ne pouvait s’attribuer le monopole de ses sourires. Sa belle réputation était encore pure de toute tache ; et si quelqu’un de ses adorateurs pouvait se croire distingué du reste, il semblait avoir été choisi au point de vue de l’ambition plutôt que de l’amour ; Gilles, le belliqueux cardinal d’Albornoz, tout puissant à la cour pontificale, croyait pouvoir prédire l’heure de son triomphe.

On était déjà avancé dans l’après-midi ; dans l’antichambre de la belle signora, se tenaient deux membres de cette confrérie de pages, beaux et richement habillés, qui, dans ce temps-là, fournissait aux personnes de qualité des deux sexes leurs domestiques favoris.

« Par ma gorge, s’écriait un de ces jeunes serviteurs, repoussant les dés avec lesquels il avait cherché, ainsi que son compagnon, à charmer ses loisirs, je ne connais rien de plus assommant. Voici le plus beau du jour passé. Notre dame est en retard.

— Et moi qui, ai mis mon manteau de velours neuf, répliqua l’autre, promenant un regard de compassion sur sa fine toilette.

— Chut, Giacomo, dit son camarade en bâillant… trêve à ta fatuité. Quelles nouvelles au dehors, je serais curieux de le savoir ? Sa Sainteté n’a pas encore repris l’usage de ses sens ?

— Ses sens ? comment ! il avait donc perdu l’esprit ? dit Giacomo, tout bas d’un air sérieux et étonné.

— Apparemment, puisque, étant pape, il ne s’aperçoit pas qu’il peut sans crainte jeter à présent de côté son