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RIENZI.

goût du plaisir[1]. La corruption qui régnait dans cette cour tout entière était trop invétérée pour céder à l’exemple d’Innocent, qui était personnellement un homme d’habitudes simples et de meurs exemplaires. Quoique assujetti à la politique de la France comme son prédécesseur, il avait une ambition forte et étendue. Profondément attaché aux intérêts de l’Église, il formait le projet de la rétablir et de la raffermir dans sa domination en Italie, et il regardait les tyrans, maîtres des divers États, comme les principaux obstacles opposés à son ambition pontificale. La politique d’Innocent VI ne se bornait pas là. Avec les exceptions nécessairement provoquées par des circonstances particulières, le siège pontifical était, en somme, favorable aux libertés politiques de l’Italie. Les républiques du moyen âge croissaient à l’ombre de l’Église ; et là, comme ailleurs, on trouvait, contrairement à l’opinion vulgaire, que la religion, malgré les vices qui s’abritaient sous son manteau, servait à la protection générale des libertés civiles, élevait les humbles et résistait aux oppresseurs.

Dans ce temps-là une dame d’une beauté singulière et sans égale fit une apparition à Avignon. Elle était arrivée avec une suite peu nombreuse mais choisie. Elle venait de Florence, mais elle était Napolitaine de naissance, veuve d’un noble de la cour brillante de l’infortunée Jeanne. Son nom était Cesarini. Placée là sur un théâtre où, même dans la citadelle de la chrétienté, Vénus conservait son empire d’autrefois, où l’amour était le principal souci de la vie, où enfin la beauté, c’était la puissance, la signora Cesarini n’avait pas plutôt fait son apparition en public qu’elle avait vu à ses pieds la moitié des nobles et

  1. Matteo Villani dit qu’Innocent VI n’avait pas grandes prétentions au savoir. D’autres autorités, entre autres Zefirino Re, le citent cependant comme un « excellent canoniste. » Il avait été professeur à l’université de Toulouse. (Note de l’auteur.)