Page:Lucrèce - De la nature des choses (trad. Lefèvre).djvu/88

Cette page a été validée par deux contributeurs.
20
DE LA NATURE DES CHOSES

Résultat, circonstance, affaire accidentelle.
Le temps, par soi, n’est pas : c’est la fuite des ans ;
Ce qui fut ou sera lui donne seul un sens.
Le temps, qui l’a touché ? Peux-tu séparer l’heure
De la réalité qui marche ou qui demeure ?
Lorsqu’on nous conte Hélène oubliant son époux,
Les Troyens par la guerre abattus, croyons-nous
Qu’une existence propre anime encor ces choses ?
Non. L’âge irrévocable en a repris les causes,
Et les hommes sont morts avec ce qu’ils ont fait.
Des êtres et des lieux tout acte est un effet.
Est-ce que, sans matière, Hélène eût été belle ?
Sans espace, comment aurait pu l’étincelle
Dont l’amour embrasa le cœur du Phrygien
Jaillir en incendie au rivage troyen,
Et le cheval de bois répandre sur Pergame,
480Nocturne enfantement, la vengeance et la flamme ?
Il faut donc refuser aux faits, simples rapports,
Cette réalité qu’ont le vide et les corps ;
Manifestations du mouvement écloses,
Ce sont des accidents de l’espace et des choses.

Tout corps est germe simple ou groupe d’éléments.
Simple atome, il n’est pas de chocs si véhéments
Qu’ils puissent ébranler cette unité suprême.
Indivisible et plein, il demeure le même.

Tu doutes, n’est-ce pas ? de cette éternité.
Nulle part n’apparaît tant de solidité.
La foudre et les clameurs traversent les murailles ;