Page:Lucrèce - De la nature des choses (trad. Lefèvre).djvu/82

Cette page a été validée par deux contributeurs.
14
DE LA NATURE DES CHOSES

Et le frémissement des forêts et des mers
Répond par sa furie aux menaces des airs.
Les vents sont donc des corps, dont l’invisible masse,
De la terre et des mers balayant la surface,
De tourbillons soudains bouleverse les cieux ;
Des fluides pareils aux cours impétueux
Des fleuves, quand les eaux qui des cimes descendent,
Torrents soudain gonflés, dans les plaines répandent 300
Les ruines des bois, des arbres tout entiers ;
Quand les ponts les plus forts, vacillant sur leurs pieds,
Ne peuvent soutenir l’irruption des ondes ;
Lorsque le rude assaut des roches vagabondes
Emporte à grand fracas les digues, abîmant
Au loin ce qui résiste à son acharnement.
Ainsi courent les vents ; et leurs folles haleines,
Torrents aériens, s’abattent sur les plaines ;
Et leurs chocs redoublés rasent tout devant eux ;
Et, du fouet tournoyant d’un vertige orageux,
La trombe enlace, étreint et déchire sa proie.
Ce sont bien là des corps. Qu’importe qu’on les voie ?
L’aquilon dans sa marche est pareil au torrent :
L’un est un corps caché, l’autre un corps apparent.

Nous sentons les parfums, mais leurs corps nous échappent ;
Ce ne sont pas les yeux, c’est l’odorat qu’ils frappent.
Est-ce que nous voyons le froid ou la chaleur ?
Et la voix ? Elle n’a ni forme ni couleur.
Mais il faut bien qu’ils soient d’essence corporelle,
Puisqu’une impression à nos sens les révèle. 320