Page:Lucrèce - De la nature des choses (trad. Lefèvre).djvu/77

Cette page a été validée par deux contributeurs.
9
LIVRE PREMIER

Mais un espoir m’anime en ces rudes travaux ;
J’aurai pour aiguillon ta haute intelligence,
Et ta chère amitié sera ma récompense !160
C’est pour toi que les nuits sereines me verront,
Éclairant la doctrine et pénétrant à fond
Les replis ténébreux d’une recherche obscure,
Trouver l’image vraie et l’expression sûre.

Les ombres de l’esprit, les terreurs du sommeil
Bravent l’éclat du jour et les traits du soleil ;
Mais la Nature s’ouvre et la nuit se dissipe.

Au seuil de la science est assis ce principe :
Rien n’est sorti de rien. Rien n’est l’œuvre des dieux.

C’est à force de voir sur terre et dans les cieux
Des faits dont la raison cherche en vain l’origine,
Que nous plaçons en tout la volonté divine.

De là cette terreur qui nous accable. Eh bien !
Quand nous saurons que rien ne peut sortir de rien,
Nous verrons s’éclairer notre route, et les choses,
Sans miracle et sans dieux, nous révéler leurs causes.
Que tout vienne de rien ? tout peut venir de tout,
Et la loi de l’espèce en hasard se résout.
L’homme naîtra des eaux sans famille et sans père ;
Les oiseaux, les poissons, vont s’élancer de terre ; 180
Les bêtes, les troupeaux, tombant du haut des cieux,
De déserts en guérets errent insoucieux ;
Plus d’arbres assurés de fruits toujours semblables ;