Page:Lucrèce - De la nature des choses (trad. Lefèvre).djvu/35

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
XXIX
PRÉFACE

Former leurs rangs, les rompre, encor, toujours, sans trêve,
Et livrer un combat qui jamais ne s’achève.
Tu concevras alors quels infinis hasards
Bercent les éléments dans l’étendue épars.
 

Et ailleurs (I, 1020) : « Ce n’est certes pas par un dessein préconçu, par la réflexion d’un esprit sagace, que les éléments des choses se sont coordonnés ; ils ne sont point convenus par traité de leurs mouvements respectifs. Partout, à jamais, poussés par des chocs innombrables, s’essayant à tous les genres de mouvements et de combinaisons, ils arrivent enfin à ces agencements qui constituent l’ordonnance présente des choses. Il faut bien que la force de la matière soit infinie comme elle (V, 417-432).

On connaît la belle démonstration de l’infini dans l’espace (I, 957-982) :


Mais d’abord, quelle route, environnant le monde,
En marquerait le tour ? Pour être limité,
Il faudrait que le monde eût une extrémité ;
C’est au delà des corps qu’est situé leur terme ;
Or rien ne se conçoit que l’univers n’enferme,
Rien qui soit au delà de la totalité.
Le monde, évidemment, n’a point d’extrémité.
Il n’importe en quel lieu l’observateur se place ;
Un pas ou mille pas n’ôtent rien à l’espace ;
L’infini se dérobe et n’est pas entamé,
Mais prenons que l’espace est un cercle fermé.
Cours à l’extrême bord de sa rive dernière,
Et lance un trait : ou bien l’impulsion première
Va le porter au but où l’adressait ta main,
Ou quelque obstacle va lui barrer le chemin.
Choisis, car tu ne peux sortir de ce dilemme :
Dans les deux cas, où donc est la limite extrême ?
Que ta flèche rencontre un obstacle au début,
Ou bien qu’elle passe outre et vole jusqu’au but,