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LIVRE CINQUIÈME

Tous ces arts que le temps sur notre route amène ;
Et, vers l’heure où l’esprit et le corps sont dispos,
Où la faim apaisée invite au doux repos,
Leur charme apprivoisait l’humanité naïve.
Dans les gazons épais couchés prés d’une eau vive,
Sous quelque haut ombrage, à peu de frais heureux,
1460Nos pères dans l’oubli se délassaient entre eux,
Jouissant des beaux jours de la saison riante
Qui peint de riches fleurs la terre verdoyante.
Et les jeux, les propos, les rires et les voix
Confuses faisaient fête à la muse des bois.
Et, pour s’en couronner, tressant des fleurs sauvages,
En festons sur l’épaule enroulant les feuillages,
La gaîté folâtrait en bonds mal cadencés ;
Et quand ces rudes pieds, lourdement élancés,.
Retombaient sur le sein de la vieille nourrice,
Quels éclats saluaient cette danse novice !
Tout alors était neuf et beau sous le soleil.
Ils veillaient, à chanter oubliant le sommeil ;
Ils essayaient des airs ; et leur lèvre allongée
Des grêles chalumeaux parcourait la rangée.
Ces jeux charment encor nos veilles ; nous chantons,
En mesure, sans doute, et nous suivons les tons ;
Ah ! notre jouissance est-elle plus entière
Que l’agreste plaisir de ces fils de la terre ?
Toujours le bien présent est le premier pour nous,
1480Si notre souvenir n’en sait pas de plus doux.
L’objet qui lui succède enlève nos suffrages
Et du passé toujours rabaisse les ouvrages.