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DE LA NATURE DES CHOSES

Car la vengeance alors, libre du joug des lois,
1200Dépassait tous les jours la limite des droits
Où sut la renfermer l’équitable justice.
Sur l’homme plein d’ennuis la force et le caprice
Faisaient planer la peur, l’ombre du talion,
Qui corrompt tous les biens. L’injuste agression
Est le piège infaillible où l’insulteur succombe,
Et c’est sur son auteur que le crime retombe.
Nulle paix, nul repos pour ceux dont les forfaits
Rompent le pacte saint de la commune paix.
Se fussent-ils cachés du ciel et de la terre,
Pourraient-ils se flatter d’un éternel mystère ?
Les songes délateurs bien souvent ont parlé ;
Dans son délire aussi la fièvre a révélé
D’anciens crimes, remis brusquement en lumière.

Maintenant, quelle cause a sur la terre entière
Répandu la croyance aux dieux, rempli d’autels
Les cités, établi ces rites solennels
Dont la pompe en tout lieu préside aux grandes choses,
Et semé ces terreurs enfin, d’où sont écloses
Tant de fêtes de dieux, et qui font sans repos
1220Jaillir du sol encor tant de temples nouveaux ?
Ce n’est rien, après tout, que la raison n’explique.

Déjà sans doute alors, l’esprit de l’homme antique
Voyant, même éveillé, des fantômes de dieux
Dont le soleil doublait l’éclat prestigieux,
Doua de sentiment ces gigantesques formes ;
Tant leurs superbes voix, leurs mouvements énormes,