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LIVRE CINQUIÈME

Cherchant à sa fortune un fondement solide,
Chacun veut être grand, illustre et révéré,
Et voit dans l’opulence un loisir assuré.
Vain espoir ! Ces lutteurs, en aspirant aux cimes,
Encombrent des chemins pendants sur des abîmes.
L’envie au-dessus d’eux tonne, et par-dessus bord
Les précipite obscurs au gouffre de la mort.
Mieux vaut l’obéissance et la paix sans histoire
Que le leurre du trône et la soif de la gloire.
Va, laisse-les semer sur le chemin glissant.
1180Ambitieux lassés, leur sueur et leur sang !
L’éclair vise les monts. Ne vois-tu pas l’envie
Prodiguer son tonnerre aux sommets de la vie ?
Mais quoi ! c’était hier et ce sera demain.
Sur parole toujours agit le genre humain :
Nous marchons dans la voie ouverte par les autres,
D’après leurs sentiments plus que d’après les nôtres.

Les rois tombèrent donc, abîmant dans le deuil
L’antique majesté des trônes et l’orgueil
Du sceptre ; et dans leur sang, sous les pieds du vulgaire,
L’insigne dont leur front étincelait naguère
Pleura le poste illustre où siégeait sa splendeur ;
La rage aime à fouler ce qu’adorait la peur.
Ce ne fut plus que lie et chaos, et délire
Des foules où chacun voulait sa part d’empire,
Dans le nombre il fallut choisir des magistrats,
Constituer des lois gardiennes des contrats ;
Las de languir sans fin dans le conflit des haines,
D’autant plus volontiers l’homme accepta ces chaînes !