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DE LA NATURE DES CHOSES

Qui font évoluer le corps, vaisseau vivant.

Quoi ! dis-tu, ces moteurs, si légers l’un et l’autre,
Manœuvrer, retourner un poids comme le nôtre ?
Pourquoi non ? Songe donc à la force du vent,
920Ce fluide, subtil s’il en fût, enlevant
Les plus robustes nefs, le vent, les chasse au large ;
Et quel qu’en soit l’élan, quelle qu’en soit la charge,
Pour diriger leur course il suffit du travail
D’un seul bras appuyant sur un seul gouvernail.
Et que ne peuvent pas la poulie et la roue ?
De quels rudes fardeaux la machine se joue !

Prête-moi maintenant un esprit attentif,
Une oreille sagace ; et ne va pas, rétif
Aux démonstrations, par ta propre injustice,
T’obstiner dans l’erreur sans même en voir le vice,
Et démentir des faits par la science admis.
J’exposerai comment dans nos sens endormis
Le sommeil fait couler le repos et relâche
Les chaînes des soucis. Délicate est la tâche !
L’abondance y peut moins que le charme des vers ;
Mille clameurs de grue éparses dans les airs
Ne valent pas le chant d’un cygne solitaire.

Le sommeil se produit quand l’âme en nous s’altère,
Scindée en deux courants dont l’un fuit au dehors,
940Dont l’autre se condense aux profondeurs du corps.
Cet abandon détend les ressorts et dissipe
Le sentiment, dont l’âme est l’assuré principe,