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LIVRE QUATRIÈME

Sauraient-ils ce que c’est qu’ignorer et savoir,
Et par quels traits constants le vrai du faux diffère ?
Entre l’ombre et le corps quel choix pourraient-ils faire ?

Cherche, et tu trouveras que toute vérité
Part des sens ; invincible est leur autorité.
Et comment ne pas croire à ce qui, par nature,
Marquant la vérité, dénonce l’imposture ?
À qui mieux se fier qu’aux sens ? Prétendra-t-on,
Si d’organes trompeurs procède la raison,
Qu’elle peut contredire et juger son principe ?
Mais de l’erreur des sens la raison participe ;
En elle tout est faux, si tout est faux en eux.

500L’oreille, diras-tu, peut réfuter les yeux ;
Le tact reprend l’ouïe ; et si les mains s’abusent,
L’œil, l’oreille ou la langue aussitôt les récusent.
Pour moi, je n’en crois rien. Chaque sens a sa loi,
Son rôle et sa province à part. Et c’est pourquoi
La notion du froid et du chaud, du rigide
Et du tendre, est distincte ; un seul sens y préside.
De même pour les jeux variés des couleurs
Et pour tout le ressort visuel. Les odeurs,
Les saveurs, ont aussi leur organe et leur sphère.
Le bruit a son domaine isolé. D’où j’infère
Qu’un sens ne peut pas seul contrôler d’autres sens.
À se reprendre eux-même ils seraient impuissants ;
Car leurs impressions sont égales entre elles,
Dans leur genre à leur règle également fidèles.
Chacune est en son temps vraie et digne de foi.