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LIVRE QUATRIÈME
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Si rapide soit-elle, elle est prise au passage,
Et quel que soit l’objet qu’on expose au miroir,
160L’image instantanée aussitôt s’y fait voir.
D’où j’ai droit d’inférer que des contours émane
Un frêle simulacre, impalpable membrane ;
Enfin, qu’un seul instant voit naître par milliers,
Sans relâche et sans fin, ces calques déliés
Dont la célérité n’eut jamais de rivale.

Autant, pour emplir l’air de jour sans intervalle,
L’astre en un seul moment lance de reflets d’or,
Autant, de toute chose, un renaissant essor,
À toute heure, en tous sens, fait rayonner d’atomes.
C’est pourquoi le miroir surprend tant de fantômes,
Reflétant, quelque point qu’atteigne sa lueur,
La forme des objets et jusqu’à leur couleur.

Dans le ciel le plus pur, un flot d’ombres funèbres
Soudain monte. On dirait que toutes les ténèbres
Désertent l’Achéron pour les gouffres des airs ;
Tant, de l’épaisse nuit qui couvre l’univers,
Pendent les mille aspects de la noire épouvante !
Mais quel effort jamais, quelle langue savante
Exprimeront le peu que de ces vastes corps
180Emporte le reflet détaché de leurs bords ?
Quant à peindre le vol des rapides images,
L’espace en un moment dévoré, ces voyages
D’un coup d’aile en tous sens fendant les flots des airs,
L’abondance y peut moins que le charme des vers.
Qui ne préfère un chant de cygne au cri des grues