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DE LA NATURE DES CHOSES

S’épuiseraient en vain le langage et les sens.

Et ces débris de corps certains, connus, présents,
Sont loin d’être les seuls qui librement s’agitent.
Il en est qui, formés spontanément, habitent,
Images sans objets, ce bleu qu’on appelle air,
Simulacres changeants qui montent vers l’éther,
Et revêtent, fondus par cent métamorphoses,
Des figures sans nombre incessamment écloses.

Ainsi, parfois, troublant le front serein du jour,
140Dans les cieux caressés par leur mouvant contour,
Aux profondeurs d’en haut les nuages s’amassent ;
Puis ce sont des géants formidables qui passent,
Jetant leur ombre au loin ; de grands monts, des rochers.
Courant devant les pics dont ils sont arrachés ;
À l’entour du soleil, des bêtes inconnues
Tirant et manœuvrant ces mirages des nues.

Et quel facile essor ! Quel prompt enfantement !
Ce peuple aérien s’envole incessamment.
Un superflu toujours coule de la surface
Des corps ; selon l’obstacle, il fond, s’arrête ou passe,
Traversant les tissus, brisé par le rocher,
Échouant sur le bois, sans pouvoir attacher
Une visible image à la rude substance ;
Ce qui n’arrive pas devant la résistance
D’un plan ferme et poli : force est de s’y fixer ;
Ce n’est plus un tissu qu’on puisse traverser ;
Avant de la briser l’éclat retient l’image.