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LIVRE TROISIÈME

L’âme recule en ordre, emportant son trésor.
Je dis et je soutiens qu’elle est mortelle encor.
Qu’importe qu’elle étouffe ou bien s’évanouisse ?
En bloc comme en détail, il faut qu’elle périsse,
Puisque de toutes parts, de moment en moment,
La vie en l’homme baisse avec le sentiment.

Membre, organe, ressort, l’âme a dans la machine
Son poste fixe ainsi que l’œil et la narine
Ou tout autre attribut vital du corps humain ;
560Et, comme chaque sens, œil, bouche, oreille ou main,
Perd, isolé du tronc, le sentiment et l’être
Et doit en peu de temps pourrir et disparaître ;
Sans le corps l’âme aussi n’est plus qu’un membre mort.
Sans l’homme elle n’est rien ; car l’homme est son support,
Son enveloppe, ou si quelque image plus vive
Peut serrer de plus prés leur fusion native.
Car l’âme tient au corps, si le corps la contient.
C’est de leur union que leur force provient.
De leur accord dépend leur salut et leur vie.
L’âme, quand par le corps elle n’est plus servie,
Ne peut suppléer seule aux rouages absents.
Privé d’âme, le corps perd l’usage des sens.
De l’orbite arraché, l’œil demeure sans flamme
À la fois et sans vue ; ainsi l’esprit et l’âme
Semblent ne rien pouvoir par eux-mêmes. Couverts
Par les membres, mêlés dans les os et les nerfs,
À travers le réseau des muscles et des veines,
Leurs principes subtils, tenus par tant de chaînes,
Ne peuvent point risquer de trop larges écarts ;