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LIVRE DEUXIÈME

Opère en elle avant que l’être ait vu le jour,
La réponse est aisée, et je prouve à mon tour
Que les formations précèdent les naissances,
Que tout changement suit un concours de substances,
Que nul corps ne perçoit d’impressions, avant
Que, pour constituer l’édifice vivant,
Accourus de l’éther, du sol, du feu, des ondes,
Ses germes aient groupé les rencontres fécondes
D’où vont jaillir les sens, ces flambeaux allumés
Pour veiller au salut des êtres animés.
À peine l’être vit, une atteinte trop forte
Le terrasse ; et voilà qu’un tourbillon emporte
Tous les sens confondus, et l’âme avec le corps.
960L’ordre des éléments est dissous ; les ressorts
De la vie, arrêtés dans la structure entière,
Laissent l’ébranlement pénétrer la matière.
L’âme enfin rompt le nœud des mailles de la chair
Et, lancée en tout sens se disperse dans l’air.
Et qu’attendre d’un choc ? La perte, la ruine,
La dislocation de toute la machine.
Quelquefois cependant, sous un coup moins brutal,
Les restes ranimés du mouvement vital,
Apaisant du combat l’horreur tumultueuse,
Triomphent de la mort presque victorieuse ;
Ils triomphent ; tout rentre en sa route, et l’instinct
Vient rallumer des sens le flambeau presque éteint.
Sinon, comment pourrait l’âme au trépas ravie
Des portes du tombeau revenir à la vie,
Elle, si près du terme où conduit tout chemin !
Au lieu de s’en aller où nous irons demain ?