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DE LA NATURE DES CHOSES

Entre ses éléments et les teintes des corps
Il n’est pas de contraste, il n’est pas de rapports.
L’esprit, dis-tu, ne peut concevoir l’incolore ;
Erreur : l’aveugle né, qui dès l’enfance ignore
Les couleurs des objets et la clarté du jour,
Connaît par le toucher, juge par le contour.
Ainsi donc, l’incolore, offre aux sens quelque prise
Et se traduit pour nous en notion précise.
Nous-mêmes, qui voyons, aveuglés par la nuit,
760À défaut de couleur, la forme nous instruit ;
Tu sens, tu reconnais ce que ta main rencontre.
Ce que montre le fait, la raison le démontre.
Telle couleur s’altère en toute autre couleur ;
Il n’en peut être ainsi d’un germe créateur :
S’il ne reste jamais identique à lui-même,
Le grand tout sombrera dans le néant suprême.
Ce qui brise le moule où sa loi l’a fixé,
Comme s’il n’était pas, rentre dans le passé :
Donc, si tu ne veux pas que tout s’anéantisse,
N’attache à nul atome une couleur factice.

La couleur peut manquer, du reste, aux corps premiers :
Ne sont-ils pas pourvus de types variés,
Formes dont le concours enfante les nuances ?
Tout dépend de leur ordre et de leurs alliances,
Des chocs, des contre-coups qu’ils échangent entre eux.
Tu t’expliques ainsi que, du noir ténébreux,
Le même objet soudain passe au blanc de la neige,
Lorsque la mer revêt, sous le vent qui l’assiège,