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des montagnes, et qu’une voix retentissante appelle leur troupe dispersée. J’ai entendu même six ou sept paroles rejaillir d’un endroit (4, 580) à qui on en jetait une seule : tant elles se multipliaient à bondir de collines en collines !

Les peuples voisins de ces lieux y font habiter les satyres et les nymphes. Ils parlent aussi de faunes ; et tous affirment que leurs bruissements nocturnes, leurs ébats folâtres troublent le morne silence des bois. Et des cordes harmonieuses y résonnent, avec ces douces plaintes que répand la flûte sous le doigt du chanteur, et les enfants des campagnes sont avertis au loin, lorsque Pan secoue la couronne de pin, rempart de son front qui tient à moitié des bêtes, (4, 590) et que sa lèvre recourbée, volant sur des pipeaux ouverts, épanche les intarissables accords de sa muse champêtre. Que de prodiges, à les entendre ! Craignant de paraître relégués dans une solitude que les dieux mêmes abandonnent, ils forgent de merveilleuses histoires ; ou bien un autre motif les guide : car les oreilles des hommes ne sont que trop avides de fables.

Au reste, ne sois pas étonné si de tel endroit qui arrête la vue, qui nous dérobe les corps visibles, il nous arrive des sons assez éclatants pour fatiguer nos oreilles. (4, 600) Nous apercevons bien des hommes qui causent à travers les portes fermées. Oui, parce que la voix franchit sans blessure des issues tortueuses ; mais les images s’y refusent. Elles se déchirent, à moins de couler tout droit, comme dans les pores du verre que fend le vol des moindres apparences.

En outre, la voix se distribue de tous côtés, parce que le son engendre le son. Aussitôt qu’il éclate, il se multiplie, comme l’étincelle de feu va s’éparpiller en mille étincelles. Aussi la voix remplit-elle tout aux alentours, (4, 610) même les enfoncements cachés, que son éclat ébranle. Au contraire les images, à peine dardées, volent en droite ligne. Voilà pourquoi l’œil est incapable de franchir les barrières, tandis que le son extérieur nous arrive. Encore la voix, émoussée quand elle perce les murs, est-elle confuse quand elle gagne nos oreilles ; et on voit que le retentissement nous frappe plus que les mots eux-mêmes.

Les instruments du goût, le palais et la langue, sont d’un mécanisme plus compliqué et d’une explication plus rude.

D’abord, nous sentons un goût dans la bouche [619] (4, 620) lorsque nos dents expriment le suc de la nourriture, comme une main qui presse et dessèche une éponge imbibée d’eau. Les matières exprimées circulent ensuite dans les interstices du palais, dans les voies tortueuses et les mille pores de la langue. Alors, pour peu que les sucs flottants aient des germes lisses, leurs douces atteintes caressent mollement toutes les fibres sous les voûtes humides et ruisselantes de la bouche. Les autres, au contraire, piquent et déchirent les organes où ils jaillissent, suivant la mesure de leur aspérité.