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Bien plus, tout miroir à facettes recourbées comme le flanc humain renvoie sans intervertir : soit que les images, promenées de facettes en facettes, nous arrivent après une double conversion ; soit que, dans le trajet, elles roulent sur elles-mêmes, instruites par la courbure du miroir à nous tourner la face.

Les images semblent aussi marcher avec nous, (4, 320) suivre nos pas, imiter nos gestes. Voici pourquoi. Dès que tu abandonnes un coin du miroir, aucune ne peut en rejaillir : la nature voulant que toutes émanent et rebondissent à angles égaux.

Nos yeux redoutent et fuient la vue des corps éclatants. Le soleil aveugle même ceux qui osent le regarder en face : tant il a de force, tant les images que sa hauteur précipite violemment à travers un ciel pur heurtent et bouleversent le frêle tissu des yeux ! (4, 330) Et puis, souvent un vif éclat brûle le regard, parce que mille germes de feu y sont contenus, et blessent les yeux où ils pénètrent.

En outre, tout est jaune pour un homme tourmenté de la bile, parce que son corps vomit une foule de pâles atomes, qui rencontrent les images ; et aussi, parce que l’œil est mêlé de ces germes dont le reflet contagieux imprime sa pâleur à toutes choses. Dans les ténèbres, nous apercevons ce que le jour éclaire : voici pourquoi. Aux noirs brouillards de l’air environnant (4, 340) qui assiège, qui occupe d’abord les conduits ouverts de l’œil, succède tout à coup une lumineuse blancheur, un vent qui nettoie pour ainsi dire les yeux, et dissipe les sombres vapeurs du premier souffle ; car il est mille fois plus agile, plus fin, plus énergique. Dès que sa lumière remplit et ouvre les sentiers que bouche le vent obscur, les images qui s’épanouissent étalées au jour le suivent, et harcèlent la vue. Du grand jour au contraire, les yeux ne peuvent agir sur les ténèbres, (4, 350) parce que le vent épais et sombre, qui arrive le second, emplit les pores, obstrue les voies, et arrête le mouvement des images que sa nuit emprisonne.

Pourquoi les tours carrées des villes, que nous examinons de loin, nous semblent-elles rondes ? Parce que, de loin, tous les angles se montrent obtus ; ou, pour mieux dire, ne se voient pas. Leur impression, leur coup expire, sans atteindre le foyer de notre vue : car l’abondance de l’air que traverse leur image (4, 360) les soumet à un choc perpétuel qui les émousse, les rend insensibles ; et alors ils nous apparaissent comme des amas de pierres arrondies, moins distincts pourtant que les véritables corps à forme ronde que tu as sous les yeux, et dont ils ne présentent que les vagues esquisses.

On dirait même que nos ombres bondissent au soleil, et, attachées à nos traces, imitent nos gestes : si on pouvait croire que du vent obscur fût capable de suivre les pas et de reproduire les mouvements, les attitudes des hommes. Car