Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/75

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Enfin, il ne peut y avoir un arbre, dans le ciel, un nuage dans les abîmes de la mer, un poisson vivant au milieu des campagnes, du sang dans les veines du bois, ou des sucs dans la pierre ; tout a un lieu distinct et fixe pour séjourner et croître. De même la nature ne peut enfanter un esprit sans corps, un esprit pur, (3, 790) qui existe loin du sang et des veines. Car, autrement, ces essences libres habiteraient indistinctement la tête, les épaules, le talon, et auraient coutume de naître dans un endroit quelconque, plutôt que de rester au fond du même corps, du même vase. Mais si, dans ton propre corps, il est évident et sûr que des lois invariables fixent un lieu où existent et croissent séparément ton esprit et ton âme, à plus forte raison nieras-tu que leur assemblage puisse subsister ou naître loin du corps. Avoue donc que la ruine du corps entraîne la perte des âmes, qui se déchirent avec la masse.

(3, 801) Joindre ce qui meurt à ce qui est immortel, leur imputer un accord et des impressions communes, est une folie. Car est-il opposition plus vive, plus tranchée, plus inconciliable, que de voir un esclave de la mort et un immortel, un être sans fin, essuyer de concert les rudes tempêtes de la vie ?

D’ailleurs, pour que les êtres soient éternellement durables, il leur faut une matière solide, qui brave les coups, (3, 809) et ne laisse pénétrer aucun germe de dissolution entre le tissu étroit des parties, comme les atomes dont nous avons indiqué plus haut la nature. Ils peuvent avoir aussi la même durée que les âges, quand ils échappent aux atteintes, comme le vide qui demeure toujours impalpable, qui ne reçoit pas la moindre blessure du choc ; ou quand ils ne sont environnés par aucun espace libre, dans lequel un corps puisse se dilater et se répandre, comme le tout universel, le tout impérissable, qui hors de soi ne trouve ni étendue pour la fuite, ni atomes dont la rencontre, dont les assauts terribles viennent le pulvériser. (3, 820) Or, nous avons vu que les intelligences ne sont pas un corps de nature solide, puisque le vide se mêle à tout assemblage. Elles sont encore moins un vide pur. Elles ne manquent pas de corps ennemis : du tout immense jaillissent mille tourbillons orageux qui peuvent abattre le monde des âmes, ou les exposer à mille désastres. Enfin, elles ont toujours des espaces, des gouffres inépuisables pour y dissiper leur essence, pour y essuyer des attaques mortelles. Donc, les portes de la mort ne leur sont pas fermées.

(3, 830) Dira-t-on, comme preuve nouvelle de leur immortalité, que les enceintes les plus reculées de la vie sont leur asile, leur rempart, et que jamais ennemi de leur salut ne pénètre jusqu’à elles, ou que du moins ses atteintes fugitives sont repoussées avant que le ravage ne se fasse sentir ? Ce raisonnement est loin de la vérité : car, outre les maux du corps dont elles souffrent aussi, l’avenir y jette ses angoisses desséchantes,