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ron. Aussi les peintres et les écrivains de la vieille race (3, 630) nous les représentent-ils armées de sens. Mais il est impossible que les yeux, les narines, la main ou la langue subsistent à part, même dans un esprit ; et les oreilles ne peuvent, à elles seules, ni percevoir le son, ni vivre.

Puis, comme tout notre corps éprouve les tressaillements de la vie, comme nous voyons que tout y a part aux âmes ; si une force quelconque donne rapidement au milieu et le tranche, le sépare tout à coup, il faudra que nos âmes, rejaillissant au loin, se déchirent avec le tronc en deux moitiés éparses. (3, 640) Or, tout être qui se rompt et se disperse proteste lui-même contre son immortalité.

Souvent, dit-on, un char hérissé de faux et brûlant de carnage, dans la mêlée, coupe si précipitament les membres, que tu vois palpiter à terre les débris des hommes, alors que leur pensée, leur essence vive demeure insensible au mal, tant le mal est rapide ! Le feu du combat absorbe les intelligences. Tout ce qui reste du corps, elles le précipitent dans la bataille meurtrière. (3, 649) Les uns ignorent la perte de leur main gauche que les chevaux emportent avec le bouclier, au tranchant des roues et des faux dévorantes ; un autre, dans la fougue des escalades, ne sent pas que sa droite lui tombe. Tel essaye de soulever une jambe qui manque, sans voir le pied mourant qui remue les doigts à quelques pas sur la terre. Là, une tête, séparée du tronc encore vivant et chaud, a dans la poussière même le front animé, les yeux ouverts, et n’exhale la vie qu’avec les restes de son âme.

Bien plus : un serpent qui darde la langue te menace de sa queue, de son corps aux longs replis. Veux-tu que le fer partage chaque bout en mille tranches ? (3, 660) On voit aussitôt ces débris épars, saignant encore du coup qui les mutile, se tordre, baigner la terre de leur venin ; et la tête se retourne pour attaquer et mordre son propre lambeau, avec un transport de rage que ses blessures allument.

Dira-t-on que chaque fragment a son âme, son âme tout entière ? Mais alors un seul être contenait plusieurs âmes. Donc, tu as rompu la seule qui habitât un corps unique ; donc, il faut croire que tous deux meurent, puisque mille déchirements les épuisent tous deux.

(3, 670) En outre, si l’âme est une essence qui demeure immortelle [670], si elle se glisse au fond du corps naissant, pourquoi ne gardes-tu aucun souvenir de ta vie passée, des choses que tu as faites, et ne peux-tu en fixer la trace ? Car si les puissances de ton âme sont altérées au point que la mémoire de ses propres actes lui échappe tout entière, ce bouleversement ne me semble pas déjà fort éloigné de la mort. Ainsi, tu dois le reconnaître, celle qui était jadis a péri, et celle de maintenant fut maintenant créée.

(3, 679) Quoi ! le corps est déjà formé lorsque cet agent si vif y pénètre, et nous sommes en train de naître, nous avons le pied sur le seuil de la vie ! Mais alors convient-il que tu le voies grandir,