Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/593

Cette page n’a pas encore été corrigée

Elle achevait à peine, que Vénus, sous les traits de Circé, avec la robe bariolée et la baguette magique de la fille du Soleil, s’assied au pied de son lit. Médée, comme abusée par une de ces visions que suscite un sommeil pénible, la regarde d’abord d’un œil incertain. Peu à peu elle croit reconnaître la sœur de son père ; elle s’élance aussitôt dans les bras de la terrible déesse, l’embrasse avec une effusion empreinte de mélancolie, et lui dit la première : « Enfin vous nous êtes rendue, cruelle Circé ! Mais pourquoi cette fuite avec vos dragons ailés ? quelle patrie plus douce que la vôtre a pu vous attirer ? Fallait-il qu’un vaisseau thessalien entrât dans le Phase, que l’infortuné Jason traversât inutilement tant de mers, avant que vous sentissiez le besoin de la patrie ? » Vénus l’interrompt : « C’est pour toi, dit-elle, pour toi seule, pour servir ta jeunesse, que j’ai renoncé au repos, que je suis venue. D’ailleurs, ne me reproche rien ; ne m’accuse pas d’avoir cherché une existence plus heureuse ; car, pour te donner une idée des bienfaits des dieux, sache que la terre est le patrimoine de tous les hommes, que les dieux sont les mêmes partout, que la patrie est partout où naît et meurt le jour. Pas plus que d’autres, ô ma fille, nous ne sommes enchaînées à jamais aux âpres frimas de la Colchide. Je l’ai quittée déjà, n’ayant pu m’y plaire ; il ne t’est pas défendu de m’imiter. Mon époux est Picus, roi d’Ausonie. Là, point de taureaux au souffle enflammé qui dessèchent les verts pâturages ; là je règne sur toute la mer d’Étrurie. Mais toi, malheureuse, quel Sarmate recherche ta main ? De quel Ibère, hélas ! ou de quel farouche Gélon vas-tu grossir le nombre des concubines ? »

« Je n’ai pas, répondit Médée, sachez-le bien, je n’ai pas tellement oublié Perséis, mon illustre aïeule, que je consente à de pareilles alliances. Sur ce point donc, soyez sans crainte. Mais faites cesser, ô ma mère, puisque vous en avez le pouvoir, ces ennuis, ce trouble, ces agitations, ces brûlantes ardeurs qui déchirent mon cœur naguère si paisible. Je n’ai plus ni paix ni sommeil. Rendez-moi le calme et la sérénité ; rendez-moi la parfaite jouissance du jour et de la nuit ; laissez-moi toucher ces vêtements et approcher de mes yeux cette baguette, qui ont la vertu d’endormir. Mais vous non plus, ma mère, vous ne me soulagez pas ! seule, j’avais plus de courage. Maintenant je ne vois qu’hymens malheureux, que funestes présages ; à la place de vos cheveux, j’aperçois des vipères. »

En parlant ainsi, Médée, penchée sur le sein de la barbare déesse, pleurait, livrant la plaie secrète de son cœur, le feu qui la consume. Vénus la serre dans ses bras, et lui imprime des baisers empoisonnés qui la pénètrent à la fois de toutes les fureurs de l’amour et de la vengeance. Puis, s'étudiant avec art à la consoler, elle attire son attention sur un autre sujet, et lui dit, les larmes aux yeux : « Lève la tête, ô ma fille, et écoute. Je descendais du ciel sur ce rivage, quand j’y vis un vaisseau prêt à partir. Il était tel, que jamais je ne lui eusse permis de quitter