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côtes du Latium ; ni la mer de Libye, quand elle charrie, vers ses rivages, les débris des flottes fracassées. Ici les chevaux, là leurs maîtres se contrariant dans leurs efforts, sont coupés par les faux ou déchirés par les rênes ; le char, souillé de sang, entraîne le char, puis en est entraîné ; des lambeaux de chair pendent et roulent çà et là dans la poussière. Les Colchidiens, n’ayant plus besoin de courage ni de prudence, percent à leur aise ces malheureux, impuissants contre les liens qui les enveloppent. Ils les immolent avec la même facilité (6, 420) que le chasseur ombrien qui, sans chiens et sans dards, égorge des cerfs embarrassés dans leurs propres bois, et qu’enchaîne une colère aveugle. Ariasmène lui-même dégage vainement ses armes et s’élance ; mutilé par les faux, broyé sous les roues, emporté au milieu des chevaux en furie, il disparaît du champ de bataille.

Pendant que les Argonautes et les Colchidiens jonchaient à l’envi la plaine de cadavres et dépeuplaient la Scythie, Junon avait senti que cette conquête ne conduirait pas Jason à celle de la toison d’or, (6, 430) et ne lui assurerait pas le retour dans sa patrie. Avant donc qu'Éétès fasse éclater sa perfidie et ses funestes desseins, elle imagine pour Jason des ressources nouvelles : elle gourmande, elle accuse avec amertume Vulcain, dont les taureaux, aux narines enflammées paissaient alors dans les prairies d'Éétès : car elle craint que celui-ci, aussitôt après le combat, n’ordonne à Jason de soumettre au joug ces féroces animaux, et de semer les dents du dragon de Cadmus. Divers moyens se présentent à l’esprit agité de la déesse ; mais Médée seule l’occupe, Médée est son unique espoir. (6, 440) Personne plus que Médée n’a la science de la magie ; elle sait par ses conjurations, par le suc des plantes arrachées dans les lieux les plus inaccessibles, faire pâlir les étoiles, arrêter la marche du Soleil son aïeul changer l’aspect des campagnes et le cours des fleuves, plonger la nature entière dans le sommeil, rajeunir les vieillards, et leur filer à son gré de nouveaux jours : elle étonne Circé même, si fameuse par ses redoutables enchantements ; elle étonna Phrixus, qui pourtant avait l’art de faire distiller à la Lune des poisons écumeux, et d’évoquer les ombres par des formules thessaliennes.

(6, 449) Junon cherche donc à donner au héros grec l’appui du terrible pouvoir de la magicienne. Nulle ne lui semble plus capable qu’elle de lutter contre les taureaux et contre les guerriers qui surgiront du sein de la terre ; elle ne se troublerait pas au milieu des flammes, elle n’en craindrait ni la vue ni le contact. Que sera-ce lorsqu’un aveugle amour, lorsqu’une passion dévorante pénétreront ses sens ? Junon va donc trouver Cypris. De son palais, toujours orné de fleurs fraîchement écloses, la déesse l’aperçoit et se lève entourée de la troupe ailée des Amours. Junon l’aborde la première, et lui dit d’une voix suppliante (car elle craignait de trahir la véritable cause de ses alarmes) : (6, 460) « Tout mon espoir, toute ma puissance sont entre vos mains. Que l’aveu